2.Trahison partie 1

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- Trahison, c'est une trahison, répétait l'homme en robe de bure blanche. Savourant cette sonorité comme un mélomane savourerait les plus belles notes d'une symphonie. Enfin votre fourberie est exposée au grand jour. Les preuves ont été présentées au roi, vous êtes fini.

Saga, car ainsi s'appelait l'homme accusé de trahison, pensa tirer son épée et la plonger dans le corps de son opposant. Évidemment, il avait toujours eu des relations tendues avec le marquis de Krestra, mais aussi exécrable que soit cet Hubert, il était le conseiller et stratège du roi. Porter la main sur lui revenait au même que lever la main sur le monarque en personne.

Pendant ce temps, la nuit hivernale tombait. Le chancelier avait encore beaucoup de travail, de documents à remplir, de doléances à écouter. Le temps qu'il perdait à débattre avec cette raclure en toge lui coûtait fort cher.

- Comme vous le savez bien, mon cher marquis, les rumeurs sont récurrentes en ce royaume, sur moi, sur vous, sur des ministres ou des nobles. Sa Majesté est bien trop sage pour prêter l'oreille aux calomnies. Aviez-vous quelque autre affaire à me présenter ?

- Non, monsieur le chancelier du roi. Aucune autre affaire pour vous.

Ces paroles avaient été dites par le marquis avec un ton de voix qui oscillait entre le sifflement du serpent et le tranchant de l'acier. Saga se doutait qu'il manigançait quelque chose. Déjà dans sa jeunesse, alors qu'il était inquisiteur pour l'organisation de la Racine, il était répugnant. Rôdant, espionnant, toujours à s'immiscer partout où il pouvait comploter... Le serpent de la Racine était le surnom que les gens lui donnaient déjà à l'époque. Rien n'avait changé. Malgré le temps, ses longs cheveux noirs encadraient son visage d'une pâleur effrayante, ses yeux vert émeraude étaient soulignés de grands cernes profonds et noirs. D'une maigreur extrême, d'aucuns auraient pu dire qu'il avait le charme d'un cadavre animé.

Saga, qui était resté assis à son bureau depuis le début se leva. Il était bien plus grand que Hubert, avec une musculature bien mieux dessinée.

- Hubert, je ne vais pas déranger la garde, je vais vous mettre moi-même dehors. Aujourd'hui, je n'ai pas de temps à perdre avec nos jeux et querelles.

- Moi non plus, Chancelier. Notre partie s'achève enfin. Trop longtemps, nous nous sommes opposés.

Le marquis posa avec un sourire malsain une lettre sur le bureau en bois.

Près de la porte, Nolaig leva les yeux de son livre avec une expression perplexe. Pourtant, nul n'avait élevé le ton. Mais Nolaig avait l'instinct de sa race. Le jeune elfe pressentait que les choses allaient dégénérer.

Saga, lui de son côté, n'avait laissé voir aucune émotion. Le visage impassible, il saisit le papier. Il était adressé personnellement au comte Saga des buttes de fondange et comte du domaine de Noblecourt. Gardien de la maison des étoiles jumelles, chevalier saint et dignitaire de l'insigne des épéistes. Etc... Et fermé du sceau privé du roi.

Il ouvrit le scellé de cire et lut attentivement la missive.

Un renvoi... La première réaction du chancelier fut le soulagement.

Il pouvait oublier tous ses problèmes. Rentrer au domaine de Noblecourt. Et vivre heureux.

Puis il pensa à son successeur désigné, le marquis Hubert de Kŕestra. Choix aberrant, jamais cette vipère malsaine n'aurait les épaules pour ce fardeau. Saga leva donc son regard dur et impassible sur son successeur. Il n'était pas surpris, le roi Emeraude 1er se lassait de ses ministres aussi vite que de ses maîtresses.

Le roi était devenu impopulaire de par ses choix politiques, lui qui jadis était adulé de tous. Et il voulait remédier à cela en rejetant la faute sur l'homme qui au fil des ans faisait appliquer ses choix. Loyauté, pensa le chancelier, oui, toi, traîtresse de loyauté, ainsi tu payes moins celui qui te donne que celui qui te reçoit.

Epeistes : Les Chevaliers de SeirosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant