17: Rédemption

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Le sort d’âme était une magie occulte, résultat d’un vieux secret druidique qui jadis servait à lier un guerrier à son druide en invoquant des esprits. Pour annuler un tel sortilège, il existait seulement deux solutions. La première et la plus simple était que la personne sous curatelle affranchissait son protecteur lors d’une cérémonie. La seconde était un sort de révocation des âmes, mais cela fonctionnait rarement et conduisait souvent le chevalier à la mort.

Le groupe rassemblé dans la forge cette nuit-là ne comptait aucun prétendant chevalier, mais uniquement Auxence, Chiron, Nuronelle, le vieux maître, le druide et le maître des runes. Anchise était revenu cette nuit dans un état terrible.

Le jeune homme avait donc été enchaîné à la forge. Après deux jours à se débattre et à hurler, il tomba dans un profond silence. Le regard vide et le corps meurtri.

— Nous ne pouvons rien faire sans le détacher, je subodore ? demanda le vieux maître.

— Non ! répondit le druide. Il faut qu’il se tienne au centre du cercle l’épée à la main.

Un silence pesant régna quelques instants avant que le nain poursuive.

— Même s’il avait été dans un état normal, il airais fallut le garder enchaîné car le sort de révocation est très violent.

— Comment pourrait-il être dans un état normal ? Il est conscient qu’il est indirectement responsable de la mort de son protégé, lança Auxence.


— Je ne suis pas chevalier de Seiros, mais ne devrions-nous pas lui retirer son épée par sécurité ? proposa Nuronelle.

— Bonne idée !


— Essayons donc… poursuivit Auxence.

Le commandant de la garde royale défit petit à petit les liens, dès qu’ils furent desserrés, Anchise tenta de saisir son épée, mais l’elfe le désarma en une fraction de seconde. Puis il fallut que Chiron et Auxence le forcent à se purifier alors que le beau diable se débattait violemment. Puis ils durent faire briser la lame, puis la faire reforger. Enfin vint le moment de la saignée, l’épéiste verserait une grande quantité de sang. Et s’il survivait à cet ultime sacrifice malgré son âme, il serait sauvé.

Auxence et Chiron sentirent tout son poids.

— Il est mort ? s’inquiéta le commandant.

— Non, rassura l’elfe. Il est juste inconscient.


Tous se regardèrent, soulagés, le rituel de révocation avait réussi.


Quand Anchise ouvrit les yeux, il avait en lui comme un vide, depuis combien de temps était-il inconscient ? Auxence referma aussitôt le livre qu’il lisait.

— Comment vous sentez vous, mon frère ? demanda le commandant.

— Terriblement mal à la gorge, murmura Anchise.


— J’imagine, j’ai même mal du mal à croire qu’elle produise encore des sons.

La chambre était vaste et bien meublée, lambrissée avec goût. Le vaste lit aurait pu accueillir au moins deux bœufs, les tentures étaient d’un épais velours vert.

— Où sommes-nous et quand sommes-nous ?

— Au château de Seiros, une des suites royales, et nous sommes le vingt-huit février.


— Deux mois ? J’ai dormi si longtemps ?!

— Le sort de révocation vous a épuisé, il vous est arrivé de vous réveiller et de hurler. Peu d’hommes peuvent imaginer votre souffrance sur les derniers jours que vous avez vécus.


Ainsi le commandant lui raconta tout dans les détails. Anchise était faible et eut besoin d’aide pour se lever, manger ou autre besoin. Ainsi, durant trois semaines de plus, Auxence, Chiron ou Nuronelle se relayèrent pour l’aider à reprendre des forces, ou lui faire la lecture.

Dans les jours qui suivirent, Anchise reçut une missive du roi avec sa dague. Blizzard lui fut rendue, reforgée, comme neuve. Malgré tout cela, les progrès du chevalier étaient minimes. Son visage amaigri sous une barbe de plusieurs mois, resté peu voir pas expressif. Il parlait peu et semblait avoir perdu toute joie de vivre.

Certains disaient qu’il ne finirait pas l’année et mourrait de lassitude à vivre. Pourtant, un soir qu’Auxence lui faisait la lecture, la porte en bois s’ouvrit bruyamment. Et le roi entra. Il donna ordre au commandant de sortir et resta seul avec l’épéiste.
Emeraude s’avança jusqu’au lit et posa ses mains sur ses hanches.

— Alors, bien ? demanda-t-il.

— Non.


Le roi parut alors grandir davantage, son regard d’ambre fixant le convalescent.

— Wilfrid de Monte Pierre est mort, la belle affaire ! Il aurait fini sur l’échafaud, de toute façon.

Anchise ne répondit pas.

— Vous êtes libéré de votre serment et de votre lien, pourquoi se soucier du sort de cette engeance pestilentielle ?

Il n’eut toujours aucune réaction.

— Eh bien, éclata Emeraude, où est votre loyauté au roi ?

— Vive le roi, murmura sans conviction le chevalier.

— Vous croyez que Monte Pierre vous a vaincu ? Vous vous sentez souillé ? C’est vous qui l’avez vaincu. Il croyait recevoir un épéiste personnel, car il s’imaginait important. Non, c’était parce que je l’avais identifié comme une menace. Avec vous sur ses talons, cela me rappelait quelle menace il était, justement. Votre présence m’a sauvé, ainsi que le royaume. En avez-vous conscience ?


Le roi attendit une réponse qui ne vint jamais. Voyant que cela ne donnait rien, le souverain s’emporta et renversa la table de nuit. On aurait pu croire que ses yeux jetaient des éclairs, et sa voix résonnait comme le tonnerre. Il jeta un parchemin sur le lit.

— Voici votre pardon accordé et je vous ferai chevalier de l’Ordre, vous pourrez à votre tour former des chevaliers. Qu’en dites-vous ?

— Non.


— C’est bien ce que je pensais, dit le roi, vous vous laissez dépérir. Vous avez perdu toute volonté, ou est-ce du caprice ? Je n’ai pas chevauché ici sans manger pour dorloter un enfant apitoyé. Vous me faites perdre mon temps et vous interférez avec les affaires du royaume. Vous êtes une nuisance, mais je vais quand même essayer une dernière chose. Je vais vous faire placer sous un nouveau serment.

— Comment ? Cela se peut ?


— Non, le druide m’a dit que cela vous tuerait, et tuerait également certainement votre partenaire. Mais le roi a besoin d’un nouveau garde du corps.

Anchise secoua la tête négativement.

— Comment ? Vous refusez de servir le roi ?

— Non, je refuse de vous tuer. Le rituel est maléfique, il prive l’homme de son âme, vous êtes comme mort.


— Comme mort ? Les enfants qui entrent ici sont des enfants sans avenir et souvent condamnés. Le château de Seiros leur offre un destin, une vie. Comme mort, mais vous êtes aux portes de la mort !! s’énerva Emeraude. Maintenant, servez-moi ou mourez. Voyez, je reprends mon pardon et le brûle. Ce soir, ce sera le serment ou l’échafaud. Par Eriath, je vous le jure.

Le roi serra le poing et fronça les sourcils. Dans sa colère, le monarque était vraiment quelqu’un de terrible à voir.

— Maintenant, sortez de ce maudit lit où vous pleurez depuis trop longtemps et inclinez-vous devant votre souverain.

— Je suis nu.


— Je doute que vous ayez de quoi me faire crier. Allez, debout !

Anchise mit pied à terre, vacilla, se rattrapa et se redressa.

— Debout, chevalier ! Nous attendons.

Le jeune homme commença à s’incliner, puis s’écroula.

— Je ne vous ai pas demandé de ramper, mais de vous incliner.

Le roi l’aida à se redresser. Les deux hommes se regardèrent un instant dans les yeux. Le roi souriait.

— Habillez-vous ! Et allez au bain. Je vous attends à la forge pour le rituel.

La porte claqua derrière le monarque quand ce dernier sortit.


- Pour la dernière fois, NON ! rugit le roi. Je ne méditerai pas, même pas cinq minutes, même pas une. J’ai réfléchi, et médité toute la journée à cheval. Et votre candidat, depuis bien plus longtemps dans son lit.

Le vieux maître pinça les lèvres, mais dans le fond, c’était bien vrai, et à nouveau le rituel se mit en place. Tout se déroulait exactement comme il y a quatre ans. Les prières, la forge, l’étrange mixture à boire…
Anchise se tenait debout au milieu de la pièce, ce qui était un exploit, il se sentait aussi vulnérable que l’enfant qui venait de naître. Auxence se tenait à sa droite, resplendissant comme une statue de quelque antique héros. Durant tout ce temps, il avait été à la fois le pilier, le modèle et le rival du chevalier. Chiron à sa gauche, toujours discret mais à la fois si important. 

Anchise sentait les larmes lui monter aux yeux. Il ne voulait pas mourir. Il était juste las. Chiron lui tendit son épée le jeune homme la saisit, elle semblait peser des tonnes. Chiron lui sourit. Pourquoi cette expression, était-il pressé de le voir mourir ? Puis Auxence lui tendit le breuvage, composé du sang du chevalier, du roi et de la créature que le commandant avait affrontée en lieu et place d’Anchise. Le roi s’approcha à son tour et fixa du regard le chevalier.

— Mon Seigneur, mon Roi, Emeraude 1er, moi, Anchise, jure devant Eriath de vous défendre à jamais et au péril de ma propre vie contre tout ennemi. Que je meure si je faillis.

Le roi se rapprocha d’un pas. Ainsi était venue l’heure de mourir, pensa l’épéiste. La pointe de Blizzard lui fut légèrement plantée dans le torse et il but le breuvage. 

— Vivez-vous ? lui murmura le roi.

— Me tueriez-vous ? lui répondit le chevalier.


— Je vous l’ai dit, servez-moi ou mourez !

Anchise s’évanouit, à son réveil, il était toujours à la forge. Il se sentit revivre. Il y avait un tumulte de joie dans la pièce. Le roi, très fier, donna une tape virile sur l’épaule de l’épéiste. 

— La vie, mon ami. Je vous l’ai dit, il y a une vie à vivre. Alors, Sieur Anchise, prêt à chevaucher ? Prêt à vous battre ?

— Contre qui, Votre Majesté ?


— Contre tout ennemi, dit le roi, serrant le poing. Contre tout ce qui représente le Mal.

Anchise pouvait sourire, certes le rituel prenait une partie de votre âme… mais ce roi qui avait risqué sa vie pour un simple soldat méritait un tel sacrifice. 

— Mon épée est vôtre ! lança le chevalier qui, à nouveau, espérait.

Epeistes : Les Chevaliers de SeirosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant