Le soir d’hiver avait cédé sa place à une froide nuit. Dehors, la pluie martelait violemment les ardoises de la toiture quand le vicomte revint à la maison. Il venait de mener sa femme chez ses parents. La maison était donc vide à l’exception de son protecteur et de trois de ses valets qu’il fit appeler pour le raser et le laver.
Anchise faisait les cent pas. Il y avait un problème. La chose était évidente, mais restait hors de portée de l’épéiste. Aussi ignoble que fût plus l’explication de Monte Pierre, la vérité semblait bien pire. Le jeune homme remémorait la soirée. Le vicomte s’était bien vite débarrassé de sa femme. Cette dernière n’avait eu aucune envie de partir, mais il avait tant insisté. Était-ce une précaution en cas d’arrêt ? Non… pensa-t-il. Il se manigance quelque chose de plus gave.
Monte Pierre était vêtu comme s’il était attendu à un banquet. Mais ce n’était pas le cas, plus personne ne l’invitait, et cela depuis plusieurs mois. Il se fit revêtir d’une cape à capuche bleu nuit et en donna une à son garde.
— Où allons-nous, Monseigneur ? demanda le chevalier.
— Vous allez voir, répondit le nobliau dans un sourire énigmatique.
La lune, bien pâle, éclairait froidement la scène. Pourtant, une audace poussait le vicomte à parcourir les ruelles sombres et mal famées de la cité. Au fond d’une impasse, le nobliau trouva ce qu’il voulait, une porte en bois verte. Avec un symbole dessiné dessus via de la magie, car il réagissait à la lumière lunaire. Était-ce le repaire d’un Ordre de magiciens ? Difficile à imaginer dans un tel taudis. Ou des mages noirs spécialisés dans des sorts pas très recommandables, et leurs clients devaient l’être encore moins.
Deux chevaliers en armure noire accueillirent les visiteurs et les menèrent dans un salon dont le décor était de rouge et de mauve. Au mur, des peintures salaces et des sculptures érotiques. Une pièce que l’on aurait pu juger lieu de perdition. L’air était lourd, une odeur chaude et musquée flottait dans l’air.
Anchise sentait une magie à l’œuvre, sa chair réagissait à cette sensualité ambiante. Trois autres conspirateurs étaient présents ainsi qu’une femme voilée.
— Sieur Anchise, dit-elle.
Sa voix était inoubliable, et sa longue et fine main qu’elle tendait vers le chevalier était si gracieuse. La sœur de Monte Pierre !
— Pourquoi l’as-tu emmené avec toi, imbécile ? rugit le plus vieux des conspirateurs.
Le vicomte rit, s’approcha de la femme, souleva le voile et l’embrassa. Puis il se tourna vers l’homme qui avait pris la parole.
— Il m’est impossible de m’en défaire. Il me suit comme mon ombre, ou une marque de naissance. Mais rassurez-vous, ce qui est très drôle, c’est que s’il est dévoué au roi, il ne pourrait me trahir, même sous la torture.
— Quelle infamie ourdissez-vous, Seigneur ? N’oubliez pas que je suis avant tout serviteur du roi.
— Mais nos âmes sont liées entre elles, et donc au fond de vous, vous savez très bien que je passe avant lui. Je me permets donc de vous présenter tous mes complices, et en trahir un seul reviendrait à me trahir moi et m’amener jusqu’à la mort, et cela vous ne le pouvez pas.
Le chevalier était fou de rage, il avait envie de transpercer de sa lame le nobliau, mais son corps refusait d’obéir.
— Je ne peux vous trahir, mais je me dois de vous arrêter, riposta l’épéiste.
— Vraiment ? lança Monte Pierre. Et que comptez-vous faire ?
— Vicomte de Monte Pierre, par la volonté des esprits des épéistes et des dieux, je ne peux rien vous faire. Mais d’autres dans cette pièce n’ont pas cette chance. Je subodore que vous voulez faire une conjuration avec cette catin contre le roi. Alors il me suffit de la tuer.
L’épéiste plaça la pointe de Blizzard sous la gorge de Laurianna qui ne bougea pas. Un des conspirateurs sortit son épée, prêt à intervenir.
— Ne faites pas l’idiot, mon oncle, lança le vicomte. Il vous transpercerait en moins d’une seconde.
Puis il s’approcha de son garde du corps.
— Allons, mon garçon, vous tueriez une femme innocente. Regardez, elle n’a même pas réagi. Je devrais peut-être vous en dire plus à son propos, qu’en dites-vous ?
— Dites ce que vous avez à dire au plus vite, dit Anchise qui comprenait l’atrocité de la situation. Quoiqu’il se trame, l’épéiste ne pouvait rien y faire.
— Voyez-vous, cette sublime catin, comme vous aimez la nommer, n’est pas ma sœur, mais ma demi-sœur. Mon père allait jadis voir une femme de joie, une belle fée du nom de Lyssandra. De cette odieuse copulation naquit la demoiselle en question. Situation embarrassante pour le blason, une bâtarde même pas cent pour cent humaine, et fille d’une pute. Ma mère fit assassiner Lyssandra à l’accouchement pour effacer toute trace, et fit semblant d’en être la mère. Vous me suivez ? Puis la pauvre femme prise de folie ou de chagrin mit fin à ses jours aux cinq ans de cette chose. Pour expier la faute de sa naissance, ma sœur me sert en restant à la cour. Elle est, voyez-vous, un objet à mon entière disposition. Et dont le roi a eu les joies. Avant que la reine tombe enceinte et qu’il décide d’être un père et un époux modèle.
— Vous êtes immonde… grogna Anchise. Et maintenant, à part abuser de cette pauvre femme, quels sont vos projets ?
— Abuser ? Comme vous y allez fort, elle n’est pas forcée à écarter les cuisses, elle se soumet pour ses fautes. Elle est mon outil. Maintenant, la suite ?
Une bougie, rien qu’une bougie inoffensive. Elle sera accrochée au corps de ma demi-sœur. Quand elle brûlera et que le roi sentira ses effluves, son désir reviendra. Plus fort et plus ardent que jamais. Il me rappellera à la cour et ma fortune sera faite.
— D’autres pourraient être affectés, répliqua Anchise.
— Quand bien même ! Des centaines ont déjà eu soif de ses étreintes, moi-même en ai eu les plaisirs, ne m’avez-vous pas écouté ? Mais un seul a de l’importance.
— Les Sœurs Silencieuses les sentiront, votre plan est voué à l’échec.
— Vous m’insultez, Sieur Anchise, à me sous-estimer de la sorte. La reine attendant son deuxième enfant s’est retirée à Voilarac. Il y a tant d’enchantements en ce lieu qu’aucune de ses fouines ne s’en approche. Et Emeraude lui rend visite régulièrement. Nous avons tout planifié.
Effectivement, le plan pouvait fonctionner. Anchise regarda la femme qu’il pensait tuer. Pour la première fois il ne regarda pas sa beauté ou ses formes, non, ses yeux, et il y vit une profonde tristesse. Elle avait vécu jusqu’à ses vingt-et-un ans sans être respectée, sans être aimée. Même pas considéré comme une personne. Juste un objet de luxure. La gorge du jeune homme se sera. Il avait mal pour elle. Et le plus violent fut de réaliser qu’il ne pouvait absolument rien faire, pour l’aider ni pour le roi. Son honneur, où était-il ? Où étaient ses rêves de jeunesse d’être un homme droit et juste ? La réalité de la vie tue-t-elle toujours l’idéal de la jeunesse ? se demanda-t-il, effondré.
— Quelle scène dramatique ! dit une nouvelle voix.
Dans l’embrasure de la porte se tenait une femme vêtue de rouge. Recouverte d’un châle de même couleur, son visage était sans âge, et les iris de ses yeux avaient une couleur jaune et mauve. À sa prestance, il était évident qu’elle était la maîtresse de ces lieux.
— Non, Madame, rien de tragique, notre ami enivré par les effluves du lieu s’est perdu. Mais il semble avoir retrouvé la raison, répondit avec courtoisie le vicomte.
L’étrange femme plongea son regard cauchemardesque dans celui du chevalier.
— Pensez-vous que nous ignorons les dangers ? Prendrions-nous de tels risques à la légère ? Si vous ne vous retenez pas, jeune homme, aucun de vous ne sortira d’ici vivant.
Anchise hésita. Pouvait-il tuer cette sinistre créature ? Il rengaina son épée, vaincu non par les armes, mais par une situation. Il n’avait pas d’autre choix et devrait vivre avec ce poids. Celui du complice fidèle jusqu’à la mort. Il perdrait même volontairement le dernier duel du tournoi des sept royaumes. Plus rien n’avait d’importance. Alors il pensa à Dimitri.
Dimitri, noble Dimitri. Tu étais le plus noble, ton cœur avait senti le mal arriver. Et tu as choisi la mort plutôt que la servitude. Aujourd’hui, mon frère d’armes, je te comprends et t’envie, murmura le jeune homme pour lui-même alors qu’une larme dévalait sa joue.
Le vicomte donna une bourse à l’étrange femme qui les conduisit dans une salle octogonale où traînaient partout des objets de sorcellerie, cartes, boules de cristal, parchemins et quelques bougies en son centre ainsi qu’une table en pierre. Trois moines au visage à peine humain vinrent rejoindre le groupe. L’un d’eux diffusa de l’encens en récitant une prière dans un ancien langage. Les deux autres bandèrent les yeux des complotistes, Anchise inclus. Pourtant, malgré les yeux bandés, l’épéiste comprenait ce qu’il se passait. Et sa seule consolation fut que ce bandeau l’empêchait sans doute de voir les obscénités infligées au corps nu de la plus belle femme du royaume.
![](https://img.wattpad.com/cover/273930702-288-k169086.jpg)
VOUS LISEZ
Epeistes : Les Chevaliers de Seiros
FantasiŒuvre que je dédicace à une personne cher. Helas la vie me l'as retirer un triste mois de décembre. Comme quoi le destin ne nous laisse pas forcement libre arbitre. Pour elle voici, les épéistes de Seiros, des combattants légendaires, aux aptit...