10- La Boite

273 189 3
                                    

Le lendemain, ce fut le vicomte qui s’intéressa de près à Anchise. Le style vestimentaire de son garde personnel ne lui convenant pas, il fit venir des tailleurs. Sa femme participa à la discussion et s’amusait comme une enfant qui habille une nouvelle poupée. Anchise prit sur lui, et patiemment supporta que l’on posât des tissus sur lui pour tenter de les coordonner avec ses yeux ou ses cheveux. Mais quand la coupe et la couleur furent décidées, il lança  :

— Non !

— Comment cela, non ? rétorqua Monte Pierres.


— Je refuse de porter cela, Monseigneur.

— Vous avez prêté le serment de me servir.


— Oui, Monseigneur. Mais dans une telle tenue, je ne pourrai jamais me battre.

— Allons, vous n’aurez jamais à le faire, vous le savez autant que moi.


— Hélas oui, Monseigneur, mais je refuse d’être une poupée de chiffon.

— Amour, ne vous laissez pas parler de la sorte.


Anchise sentit le débat interminable ou pire, une confrontation qui ne mènerait à rien.

— Puis-je me permettre une suggestion ? avança-t-il.

— Quoi donc ? souffla le vicomte.


— Il serait possible de s’inspirer de la tenue traditionnelle des chevaliers de Seiros ? Revue avec une coupe plus adaptée à vos convenances, et moins militaire.

— Cette idée est plaisante, qu’en dites-vous, ma chère ?


— Ho ! dit-elle, excitée et tapant des mains. Il serait ravissant ainsi vêtu.

Les problèmes d’ordre vestimentaire semblaient enfin finis, au grand soulagement du jeune épéiste.


Auxence était bien furieux après Anchise. Comme le rapporta Chiron le soir même. Mais cela, le jeune chevalier de Seiros le savait déjà. Car après le départ du roi, le commandant l’avait sermonné sur le fait qu’il aurait dû laisser le roi gagner quelques manches.

Cependant, Auxence n’était pas de nature vindicative, et l’affaire serait vite oubliée, lui rapporta Chiron.

Donc la deuxième nuit, quand le château fut endormi, ce même Chiron rendit visite à Anchise, accompagné d’une belle jeune femme du nom d’Albine. Lui repartit bien vite, elle resta. Et pour la première fois, le jeune épéiste découvrit que les femmes étaient belles de bien des façons.

La première semaine pour le jeune homme fut décidément pleine de découvertes et de premières fois. Pour finir cette semaine, une réception fut donnée. La reine était absente, la rumeur voulait qu’elle fût enceinte. Lauriana, la sœur du vicomte et favorite du roi était présente, mais pour des raisons évidentes, ne pouvait se tenir aux côtés du roi. Les seuls qui se tenaient aux côtés de sa majesté étaient Auxence, le chancelier Lambert, la grande inquisitrice et la chef des Sœurs Silencieuses.

Des sœurs justement, il y en avait dans la salle, et Anchise remarqua celle qui l’avait accosté le jour de son arrivée. Il s’avança dans sa direction, mais avant qu’il ne l’ait rejointe, elle sentit sa présence et se tourna vers lui, les sourcils froncés. Il couvrit le reste de la distance qui les séparait et la salua.

— Que voulez-vous ? demanda-t-elle froidement.

— Je venais juste vous saluer. Car comme moi, vous êtes de garde sans qu’il se passe quoi que ce soit.


— Vous plaignez-vous qu’il n’y ait ni drame, ni mort, ni violence ?

— Non, évidemment que non ! répondit poliment Anchise. Quoiqu’un peu d’action ne ferait pas de mal, pensa-t-il.

— Que feriez-vous si vous sentiez un danger ?

— J’appellerais la garde, bien évidemment.


Puis elle le salua et s’éloigna d’un pas rapide. Il regarda la salle. Il comprit à ses dépens que les Sœurs Silencieuses et les soldats ne se côtoyaient pas.
Le jeune homme s’adossa à un mur et s’y ennuya.

Le roi surveillait la réception, son regard ambré parcourut la salle et se fixa sur le chevalier de Seiros. Puis lui fit signe d’approcher.

Le jeune homme se pressa d’avancer et fit une révérence.

— Sieur Anchise, j’ai une question.

— Si j’ai la réponse, Sire.


Le roi dévisagea le jeune homme.

— Après notre petit duel de l’autre soir, avez-vous recroisé le fer avec le seigneur Auxence.

— Oui, Sire, durant une bonne heure, à l’épée puis à la lance.


— Qui l’emporta, cette fois ?

— Lui, Votre Majesté, mais ce fut serré.


— Vraiment ? N’est-ce pas étrange après la déculottée que vous lui avez mise ? Il n’avait pas l’air de s’en sortir mieux que moi.

Quelle plaie qu’Auxence soit entré dans le jeu de laisser croire au roi qu’il avait le même niveau que lui, pensa le jeune homme.

— Eh bien, ce sont des choses qui arrivent.

— Vraiment ?


Le roi regarda Auxence, revint sur Anchise, puis partit dans un bruyant éclat de rire. Il donna ensuite une tape sur l’épaule du commandant alors que des larmes de rire lui couvraient les joues. Le soldat du roi ne goûtait guère la situation et décocha un regard assassin au jeune chevalier. Le roi hilare fit signe du revers de la main au jeune homme de partir.

Anchise salua bien bas le roi et se retira rapidement, suivi du vicomte qui avait assisté à la scène et s’en trouvait abasourdi. Évidemment, Monte Pierres demanda des explications. L’épéiste rapporta donc sa première nuit, sa rencontre avec le roi et leur duel. L’humiliation qu’il lui avait infligée. Le fait de s’être mis le commandant de la garde royale à dos, et ainsi de suite. La femme du vicomte fut prise d’hystérie et voulut renvoyer le chevalier de Seiros qu’elle trouvait indigne de la cour, et ne voulut se résigner au fait que ce soit impossible.

La réception s’acheva enfin et la cour s’assit pour manger à la santé du roi. Le banquet se ferait en douze services. Les gardes restèrent debout. Mais loin du jeune homme, et se relayant les uns les autres pour aller dîner.
L’épéiste comprit que personne ne le relèverait et qu’il jeûnerait sûrement ce soir.
Auxence rejoignit un groupe à deux pas de lui en l’ignorant.
À peine cinq minutes plus tard, un jeune page apparut devant Anchise, s’inclina et lui remit un joli coffre en bois. Puis il repartit.

— Vous vous faites livrer votre repas ? plaisanta Auxence en s’approchant, suivi des autres.

— Croyez-moi, j’ignore tout de ceci !


— Alors il va falloir l’ouvrir…

Il n’avait pas le choix. Il souleva donc le couvercle. À l’intérieur, une dague longue d’une vingtaine de centimètres. D’une forme sinueuse. La garde était gravée d’or et de lapis-lazulis. Sur la lame, des entrelacs élégants étaient gravés tout du long. Une arme élégante, forgée au royaume des fées. Sa valeur devait valoir celle d’un château. Une petite feuille d’or l’accompagnait avec une inscription d’argent :

 À celui qui vainquit un roi 
       E

— Voilà un cadeau royal ! s’exclama Auxence.

— Je ne comprends pas… Que dois-je faire ?


— C’est un cadeau de Sa Majesté, il vous regarde en souriant, expliqua Auxence. Faites-lui une révérence et portez-la.

Anchise s’inclina respectueusement. Le roi était ravi, cela se voyait.

— Bien, maintenant, laissez-moi faire, reprit le commandant.

Il attacha soigneusement cette merveille à la ceinture du jeune chevalier.

— Oh, vous êtes superbe, j’en serais jaloux, plaisanta Auxence en prenant amicalement le bras du jeune homme.

Epeistes : Les Chevaliers de SeirosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant