29- retour et déception

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La route du retour fut très longue. Tout conspira contre lui : les caravanes, le climat, et enfin la guerre. Un homme seul est fragile. Souvent, il n’échappa aux bandits que par sa capacité à rester éveillé la nuit. Deux fois il sentit l’approche de la fièvre et dut enterrer tous ses objets de valeur en un lieu secret, espérant survivre et les retrouver ensuite. Il trouva la moitié du continent en armes. Albatria était à couteaux tirés avec le Jensor, le terrible royaume du Nord et l’Empire. Par la mer, seule la chance le protégea des pirates. Il accosta en un matin pluvieux, plus de sept ans après son départ.

Échangeant les derniers deniers du roi contre une jument docile blanche du nom de Ribère, à la selle en cuir brune et aux rênes orange, il partit pour traverser tout le royaume.

Il trouva sa patrie natale étrangement changée. Emeraude n’était plus le héros populaire d’autrefois. Les impôts avaient fortement augmenté, le commerce souffrait cruellement de la guerre, les récoltes étaient mauvaises depuis trois ans. La reine Ziam avait été décapitée pour trahison et remplacée par la reine Megare. D’étranges modes régnaient à présent dans les villes.

Approchant de la capitale, Anchise apprit qu’il trouverait son souverain au nouveau grand palais d’Izolte. Mais le rapport au roi pourrait attendre.

Il avait une mission plus importante. Il arriva au château de Seiros vers midi. Quelques cavaliers l’aperçurent et vinrent à sa rencontre. Au premier regard, ils le reconnurent pour un vieil épéiste, sans toutefois savoir qui il était.

— Chevalier Drake à votre service, Messire.

— Chevalier Camille, Messire.

À en juger par leur visage, rosi par le vent, il les aurait pris pour des juniors, et pourtant ils étaient tous les deux armés. Ils étaient si typiques, et lui parti depuis si longtemps, qu’ils lui paraissaient presque jumeaux. Il nota que Drake avait le nez retroussé et que Camille avait des traits plus fins. Il s’en voulut d’être si terre-à-terre pour différencier deux personnes qui étaient autant que lui des individus, mais il n’avait rien d’autre à quoi se raccrocher pour une première rencontre ici, au milieu de la bruyère en fleur.

Il ne donna pas son nom, qui devait être oublié à présent. Ils supposeraient sans doute quelque plaisanterie de mauvais goût. Il dit simplement :

— Je rapporte une épée. Je ne peux pas rester. Ils échangèrent un regard perplexe et Drake fit volte-face pour rentrer prévenir le fort. Camille resta avec le visiteur et l’escorta. Il eut l’intelligence de voir que Anchise ne voulait pas parler et l’aplomb de rester silencieux.

Quand ils passèrent le seuil. la grande cloche sonnait. Le chevalier mit pied à terre devant la grande porte et tendit ses rênes à un garçon d’écurie qu’il ne connaissait pas.

— Je ne reste pas. Soignez-la et ramenez-la-moi.

Il aurait pensé la blessure apaisée par le temps. Mais il la sentit toute fraîche en extrayant l’épée du jeune Loup de son paquetage et en montant les marches. Il pleura à nouveau Xerios, leur amitié, son absolue loyauté, son esprit et son endurance sans bornes. Il pleura une grande promesse gâchée pour si peu d’effets. Il pleura sur sa propre culpabilité. Jamais plus il n’accepterait un autre épéiste personnel.

Il avait fait ce serment cent fois depuis Djelad. Et le fit encore ici. Les monarques pouvaient porter de tels fardeaux, mais pas de simples hommes comme lui. Aucune cérémonie n’était plus importante qu’un retour. Toute l’école s’était assemblée : maîtres, chevaliers, candidats, et même les serviteurs se massaient au fond, silencieux et solennels. Son pas sonna une lente mélopée sur la pierre, tandis qu’il avançait, l’épée devant lui. Aucun murmure d’excitation n’accueillit son apparition, car il avait été absent sept années. Un ou deux des candidats les plus anciens avaient peut-être assisté à sa précédente visite, mais ils n’étaient alors que des enfants. Depuis, il n’avait gagné nulle coupe, abattu nul ennemi.

Epeistes : Les Chevaliers de SeirosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant