33- La chute d'Auxence

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Le déjeuner dans les quartiers d’Anchise, le surlendemain, fut une fête sans retenue. Navarre et Auxence s’y trouvaient, ainsi que d’anciens amis du passé — Nuronelle qui était gardien des relations diplomatiques avec Ephleurei ; Chiron, père de quatre enfants (son épouse les produisait par paires), et tant d’autres. Okuri, seule femme présente, était saluée comme l’héroïne du jour. Elle avait jeté le sort final qui avait littéralement repoussé les créatures.

De la cave aux toits, le royaume empestait. On emportait les carcasses par wagonnets entiers. La joie était un peu sapée par le nombre de victimes, mais les défenseurs avaient remporté une victoire au goût amer. Chaque succès doit avoir un prix, et, à la guerre, c’est souvent ce prix qui mesure la victoire.

— Comment va le roi ? demanda Chiron à son tour.

— On ne peut mieux, répondit Auxence avec un sourire prudent. Il accepte les félicitations de tous les pairs du royaume. Mais que personne ne parle de garde-robe pendant dix ans.


— Et félicitations à toi aussi ! dit Anchise. Tu as beau être devenu un bureaucrate, tu manies toujours l’épée comme personne et tu as tenu la défense de main de maître. Cela devrait coûter cher à notre ennemi commun !

— Pourquoi dis-tu cela ?


— Eh bien, n’était-ce pas son idée de taxer les Ordres ?

Auxence goûta son vin. Une vague de silence s’étendit à toute la pièce, chacun était tourné vers lui. Il n’avait jamais fait partie de la bande. Du moins pas comme un simple membre. Déjà à l’époque du château de Seiros, c’était un chef, et il avait toujours gardé cette aura.

— Ce n’est pas si simple. À ton avis, qui le Parlement accusera-t-il ?
La salle éclata en protestations. Anchise sentit une main sur son épaule et se retourna sur le visage inquiet d’un jeune garde.

— Le roi vous demande, Chef.


Auxence se retourna et eut un sourire mystérieux.

— Bonne chance.

Que voulait-il dire ? Le roi était dans sa penderie, seule pièce de sa suite épargnée par l’assaut. Des pieds avaient bien laissé quelques traces de sang sur le tapis, mais il n’y avait aucun autre dégât, et l’odeur était supportable. Pour l’heure, il s’efforçait de compliquer les efforts de son valet pour l’habiller. La toilette royale était souvent chose publique, mais celle-ci était aussi privée que possible, avec seulement le vieux valet du nom de Stocwell et un garde à la porte.  Le commandant n’assignait pas des commères à la protection si intime du roi. Anchise s’inclina quand la tête royale émergea d’une sous-chemise.

— Je vous dois à nouveau la vie, Commandant.

— C’est mon devoir, Sire. Et aussi un plaisir.
Si le roi avait jusque-là paradé, il avait repris un air plus sombre.


— Quel est le dernier compte des victimes ?

— Cent-vingt morts, soixante-sept mutilés, quelques dizaines de morsures moins graves. La moitié sur des civils, le reste sur des combattants. Six des morts sont des femmes, Sire, ce qui…


— Et d’où venaient tous ces combattants ?

— Vous voulez parler des chevaliers ?


— Vous savez fichtrement bien que je veux parler des chevaliers ! dit Emeraude avec une menace sourde, mais amusée. Faites vite, mon bon, je gèle.

— Eh bien, d’un peu partout, Sire. Quelques-uns du château de Seiros, des gardes de la citadelle pour la plupart. D’un peu tout Albatria, en fait. Ils étaient tous ravis de pouvoir à nouveau vous servir…


— Mais c’est vous qui avez choisi de les appeler et de les avoir sous la main. J’avais tort, vous aviez raison, soupira le roi. Donnez-moi votre épée.

Anchise ressentit une certaine crainte.

— Sire, si vous comptez faire ce que je pense, puis-je vous rappeler que le danger n’est pas encore… Le roi l’interrompit d’un geste.

— Je vous ai laissé combattre à mon service trop longtemps, mon ami. Quel âge avez-vous à présent ?


— Quarante-cinq ans, Sire. Mais je suis toujours…

— Et quel âge a la Lame la plus âgée de ma garde ?


— Trente-quatre, je crois. Sire, je vous supplie de vous rappeler cette lecture faite par l’Inquisition. Le jour où je ne serai plus chevalier, je causerai votre perte.


— Les lectures sont de la crotte de chameau ! proclama joyeusement le roi. Je vous fais plus confiance qu’à quiconque dans le royaume. À présent, donnez-moi votre épée et à genoux !


Il s’agenouilla devant le roi. L’épée qui l’avait lié toucha sa chair — épaule droite, puis la gauche…

— Debout, Sieur Anchise, chevalier de notre loyal et ancien Ordre.

Le roi tint Blizzard à son côté. Navarre, qui avait été appelé, vint la prendre, évitant soigneusement le regard d’Anchise.

— Baron Saga, si je me souviens bien.

— Il me semble, Sire.


— Vos… Ah, la paix ! Rugit le roi en direction du valet.

Le vieux Stocwell avait vu l’occasion de s’avancer pour enfiler un vêtement au roi. Emeraude glissa à contrecœur les bras dans les manches.

— Vos recommandations pour un successeur, seigneur Roland ? Tristan ?

Anchise regarda vers la porte, où Navarre se tenait à nouveau. Le roi fronça les sourcils et fit signe au chevalier de sortir, ce qu’il fit, emportant Blizzard avec lui. La porte se referma. Ne restait plus que Stocwell, qui ne parlait à personne d’autre qu’au roi.

— Lord Berus, Sire.


— Berus ? Lequel est-ce ?
Autrefois, il connaissait personnellement tous les hommes de sa Garde.
            — Ah, pas ce corset, idiot, il me serre. L’ancien !

— Le chevalier du Port des Cygnes. Il ne participe jamais à la Coupe, mais c’est le meilleur. Les autres le suivraient en enfer ! Il est noble et juste.


— Alors faites-le monter, dit le roi.

— Puis-je lui dire pourquoi vous le faites mander ?


— Si vous le désirez, monseigneur.
La moitié de ses boutons encore défaits, le commandant commença à s’incliner.

— Attendez, je n’ai pas fini.
Le roi eut un hoquet de douleur, mais ça n’était que le corset qui se refermait.
— Tire, idiot, tire ! Tu voudrais que je sorte en ressemblant à une motte de beurre ? Plus serré ! Ah, Baron, trouvez-moi le chancelier Auxence. Anchise crut qu’on l’avait plongé dans de l’eau glacée.

— Votre Majesté ?

— Et apportez-moi sa broche.


— Sire ! Mais…

— Pas de mais. C’est pour son bien. Si je ne fais pas cela, le Parlement le fera destituer.
Malade, Anchise murmura :

— Comme Votre Majesté voudra.
Cette injustice lui brûlait le cœur. Tout ceci était la faute de Krestra. Il s’inclina à nouveau.

— Attendez, intervint  le roi. Nous allons en finir dès maintenant. Je suis persuadé que vous ferez un excellent chancelier. Cela fera automatiquement de vous un comte lors de votre investiture.


— Moi ? Moi ? Vous plaisantez… euh, Votre Majesté. Je suis un paysan, un guerrier, jamais un homme d’État, Sire !

Le sol tremblait sous ses pieds. Stocwell à sa suite, cramponné aux lacets du corset, le roi s’avança pour dominer Anchise de toute sa masse.

— Préférez-vous que je nomme Hubert de Krestra ? Après tout il convoite ce poste.

Oh, l’immonde ! N’aurait-il pas au moins pu trouver un argument plus honorable que cela ?

— Sire, je ne suis pas capable. Je ne suis qu’un épéiste. Mais le Marquis est un menteur, un assassin et une pourriture humaine. Votre Majesté n’est pas sérieuse…

— Non, je ne le suis pas. À présent, à genoux, embrassez ma main et partez me trouver cette broche ! Saleté ! Grosse saleté fielleuse !


Anchise ne pouvait pas se refuser à son souverain. Le baron Saga s’agenouilla pour embrasser la main royale. Le Premier ministre d’Albatria se releva. Heureux de porter à nouveau son épée, il retourna au bureau de la garde. Berus écoutait d’une oreille indulgente une dizaine de jeunes fanfarons. Cette fête était plus sobre que celle tenue dans ses propres quartiers, mais pas moins exubérante.

— Le roi veut te voir.

— Moi, Chef ? Moi ? Il ne sait même pas qui je suis. Pourquoi ?
Berus était presque encore le jeune homme au visage doux. Mais il était solide comme le bastion de Dragomor et malin à l’extrême. Il serait aussi à l’aise avec le roi qu’avec une lance.


— Je n’en ai pas la moindre idée. Mais il t’a demandé personnellement.
La ligne de ses sourcils se courba.

            — Il a fait erreur. Il a dû me confondre avec l’un des héros d’hier. Je n’ai presque rien fait.
— Va le lui dire en face.
Berus rectifia sa tenue et se hâta. Son expression perplexe était un mince rayon de joie dans cette journée sinistre.

Anchise regarda autour de lui et fut heureux de voir qu’aucun des hommes présents n’avait deviné.
— Je vous répète à quel point je suis fier de vous tous. Et Sa Majesté aussi. Il remercie et félicite chacun d’entre vous. Il l’aurait fait s’il y avait pensé.
Le visage d’Anchise ne le trahissait toujours pas quand il revint à la fête qui transformait ses quartiers en capharnaüm. Discrètement, il tira Auxence à lui.

— Il m’a nommé chancelier. Tu savais ! dit Anchise. Tu aurais pu m’aider à comprendre !


— J’ai deviné, voilà tout, sourit l’ancien chancelier.

— C’est toi qui lui as donné cette idée !


— Je te jure que non. Nous n’en avons jamais discuté. Mais tu es le seul candidat possible. Il n’envisagerait personne d’autre pour ce poste. Tiens, fit-il en épinglant la broche au torse d’Anchise. Elle te va. Félicitations.

— Les condoléances seraient plus appropriées.


— Oh, tu feras un excellent chancelier. Mais je suis soulagé, je l’admets. Cela fait sept ans — et je suis épuisé.
Il ne montrait aucune amertume, aucun regret.

— J’étais terrifié qu’il nomme un aristocrate écervelé. Suis-moi.


Auxence mena son ami à son bureau. Et lui expliqua tout le fonctionnement.

— Bien, tout ceci est classé par urgence. Commence par ce côté.
Il fit signe à son successeur de s’asseoir et prit une chaise à côté de lui.
            — Voyons, qu’y a-t-il d’autre ? Qu’y a-t-il de trop secret pour qu’on l’écrive ? Alors, confidence entre amis, je dois te mettre en garde contre le prince Ephraim.

Anchise se demanda quand il pourrait démissionner. Une demi-heure serait-il un délai trop court ?

— Tu veux dire que je dois me préoccuper des enfants du roi, maintenant ?

— Tu dois te préoccuper de tout, répondit Auxence avec joie. Il a dix-sept ans, et tout le caractère de son père. En pire.

— Et bien sûr, il y a la guerre. Il n’y aura qu’une seule façon de l’arrêter.
Le chevalier se rendit compte qu’il savait très peu de choses sur la guerre avec l’Empire. Le Conseil n’en parlait jamais.

Auxence le regarda longuement et parla d’une voix plus douce que jamais.

— Tu n’es pas au courant ? Pas même une idée ?

— Je ne sais pas du tout de quoi tu parles.


— C’est Emeraude qui a tout commencé. Tout le désastre avec le l’alliance Lacestees est de sa faute. Je suis stupéfait que personne n’en ait entendu parler. Eh bien, Seigneur Chancelier, expliqua-t-il avec un de ses anciens sourires, dans ce cas, ce que tu ignores te rendra plus fort. Reste aussi loin que tu le peux de toute cette histoire des Terres de feu. Peut-être, mais seulement peut-être, tout cela s’arrêtera-t-il quand Emeraude sera prêt à présenter ses plus plates excuses au roi Faerghus. Il le sait, mais je n’ai jamais eu le courage de le lui suggérer. Bonne chance.

— Je ne suis pas qualifié pour tout ça ! Toi tu as du tact et…


— Mais toi, tu as du courage. Ce qui compte encore plus. C’est ce qu’il lui faut — une personne capable de lui dire la vérité quand il se trompe, pour le sauver de lui-même. Tu es l’homme de la situation. Bien sûr, je t’épaulerai autant que faire se peut pour faciliter la transition, et n’hésite pas. Je serai heureux de t’aider, du mieux que je pourrai. Mais je dois te prévenir d’une dernière chose.

— Vas-y, dis-moi le pire.


— Nous sommes amis depuis longtemps, commença Auxence d’un air réservé.

— Par Eriath, oui ! Depuis cette nuit où je t’ai donné ton épée et où tu es venu me remercier. Te rends-tu compte de toutes ces années ? Et quand j’étais un Shlaigre tout fraîchement arrivé à la cour, j’ai fait perdre la face à tout le monde en battant le roi. Tu aurais pu me massacrer sur place. Et ce que tu as fait pour moi quand le vicomte… Qu’y a-t-il ? Pourquoi me parles-tu de cela ?


Il y avait de la tristesse dans le sourire de Auxence — et de l’amusement, bien sûr. Et peut-être un appel à l’aide.

— Parce que le Parlement prendra ma tête.

— Non !


— Ou le roi. Tais-toi et écoute-moi. Les princes ne sont pas faciles à servir. Eux-mêmes servent leur royaume, et les royaumes sont sans pitié. L’une des premières choses à faire est de…

— Je lui ferai d’abord avaler cette maudite broche !


— Non. J’ai fait la même chose à mon prédécesseur. Vas-tu te taire un instant ? Emeraude a fait une erreur. Plusieurs, même, mais c’est le lot des rois. Elles devront toutes m’être imputées. Le travail d’un chancelier est de réparer.

— Hubert…


— Hubert gagne cette manche. Il est trop insignifiant pour être accusé. Les yeux bleus de glace parurent s’assombrir un instant.

— Ne le quitte jamais des yeux, mon ami ! Rappelle-toi qu’Emeraude aime ménager la chèvre et le chou, et utiliser l’un contre l’autre. Mais tu sauras te méfier de Krestra. Le Parlement… C’est une autre histoire.

— Des manigances, des manipulations, des injustices. Je refuse d’être mêlé…


— Tu feras ce que ton roi te demande. Je te dis qu’il en est de ton devoir, que je ne te porte aucune rancœur, et que j’ai fait la même chose. Que la chance te préserve quand le jour viendra pour toi, mon frère !

Anchise se sentit mal.

— Par Eriath, mon ami ! Si c’est ce qui se prépare, tu dois quitter le pays, et vite. Auxence secoua la tête, résigné.

— Non. J’ai juré il y a bien longtemps de donner ma vie pour soulager une blessure en mon cœur qui jamais n’a guéri, et c’est peut-être ainsi que je servirai au mieux le roi. Cela l’aidera à repartir de zéro, et toi aussi. Le Parlement se calmera une fois qu’il aura goûté le sang. Je vais rentrer chez moi et attendre.


Il se leva et lui tendit la main. Sa paume était sèche, sa poigne ferme, son regard droit.

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Bien des duels se décident dès le premier appel de pied. Son instinct disait à Anchise qu’il ne satisferait jamais le roi en tant que chancelier s’il ne commençait pas par un coup d’éclat. Il avait tout à apprendre sur la lutte dans cette nouvelle arène, avait quantité de retard à rattraper, et soudain les jours semblaient encore plus courts. Quoi qu’il en soit, il avait assisté à toutes les réunions du Conseil privé depuis plus de cinq ans. Il connaissait le roi, les sujets abordés, et se sentait tout à fait en confiance lorsqu’il se présenta pour sa première audience formelle de chancelier. Il dut attendre plus d’une heure qu’elle commence, car la rivière était gelée. On glaçait de la bière, on grillait des marrons, et des sangliers entiers rôtissaient à la broche. L’ancien commandant se demandait combien de gardes pouvaient veiller sur le roi, mais il n’avait plus à s’en soucier, ce n’était plus son rôle. En contrepartie, il lui fallait se préoccuper de tout le reste. Les ténèbres finirent par interrompre ces réjouissances, renvoyant le roi au palais et à la chambre du Conseil. Anchise fut soulagé de voir que le garde de faction à la porte était Berus lui-même — qui avait deviné le rôle d’Anchise dans sa promotion et lui avait presque déjà pardonné. Berus ne dirait rien si son illustre prédécesseur se ridiculisait au cours de l’heure qui allait suivre.

Toutefois, voyant que Hubert allait entrer à sa suite dans la chambre du Conseil, Anchise lui claqua la porte au nez en disant :

— Dehors !

Le roi était déjà tassé dans sa chaise d’État comme un sac de viande. Il se redressa, furieux contre le chancelier, qui s’inclina.

— Que signifie cela, Seigneur Chancelier ?

— Avec mon respect, Votre Majesté, je désire le droit de ne présenter mes rapports confidentiels qu’à vous seul.


— Ou bien ?

— Ou bien rien, Sire. Je souhaite simplement présenter mes rapports confidentiels à vous seul.


Il supporta sans broncher le regard courroucé. Il pouvait toujours démissionner, même si cela se ferait dans la souffrance. Le roi battit la mesure sur son accoudoir.

— Vous êtes un homme imbuvable, indiscipliné. Nous réservons notre jugement. Pour l’heure, continuez. Que faites-vous pour le mariage ?

Même en ayant déjà assisté à cette joute, il lui paraissait étrange d’y participer. Cette question était censée le déséquilibrer. Mais Emeraude n’était pas volontairement désagréable avec son nouveau chancelier. C’était simplement sa façon d’être, et il traitait tout le monde de la même façon.

— Rien, Sire.

La véritable question était de savoir si cet homme gros et vieux voulait vraiment supporter une quatrième épouse, mais lui-même n’en savait sans doute rien.

— Puisqu’aucun navire ne peut faire voile pendant au moins un mois, j’aimerais humblement suggérer que Votre Majesté envisage de nommer un nouvel émissaire — un nouveau départ, pour aller avec votre nouveau ministre.
Le roi grogna, ce qui était en général bon signe.

— Qui ?


— Avez-vous pensé au seigneur gardien des Ports, sire ?

— Pourquoi ? La question et le regard qui l’accompagnaient contenaient une certaine menace.


Le roi estimait peut-être que le gardien était l’homme le plus assommant du royaume, mais c’était un aristocrate, et qui plus est un parent, d’une certaine façon. Ce n’était pas un gladiateur parvenu qui allait se moquer de lui.

— Sire, en tant que membre de votre famille, il apporterait un certain poids dans la maison royale. C’est aussi un négociateur accompli.
Et Emeraude serait ravi de l’envoyer loin, là où il n’aurait plus à le supporter.

— Il parle sans arrêt, vous voulez dire.
Le roi grogna à nouveau, signifiant qu’il y penserait.


— Vous devez paraître devant le Parlement demain. Que préparez-vous ?

C’était l’affaire du jour, la raison pour laquelle Anchise était là.

— Je demande à Votre Majesté la permission de présenter cette brève loi pour la faire approuver.

Le chancelier tira une feuille de papier de son dossier et la présenta. Il avait passé la nuit dernière, avec deux avocats, sur cette seule page : « Loi pour faire justice auprès de ceux responsables des récents outrages au palais de Sa Majesté Royale et diverses autres personnes transgressant par conjuration la paix et la décence publique. »

Le roi se souleva de sa chaise et alla à la fenêtre. Il lut le document en le tenant à bout de bras, puis le rendit avec un haussement d’épaules. Il se mit à faire les cent pas.

— Fichtre ! Et plumes ! Vous ne pouvez pas identifier les coupables, n’est-ce pas ?

— Les inquisiteurs affirment que cela incombe aux conjurateurs, sire. Et l’Académie affirme que c’est la tâche de la Chambre obscure. Ils pourraient s’accorder sur une dizaine de suspects, voilà tout. Mais même là, ils n’avancent que par…


— Ne traînez pas. Si vous voulez dire non, dites non. Gardez les amabilités pour le Parlement. Là-bas, parlez autant que vous voulez — mais ne mentez jamais, absolument jamais, pas même un tout petit mensonge innocent.

Le roi continua à faire les cent pas, prenant peu à peu la mesure de sa tâche. Personne ne savait mieux que lui diriger un Parlement sans le laisser deviner où il voulait en venir. Emeraude pratiquait cela depuis dix-neuf ans et formait à présent le quatrième chancelier de son règne.

— La deuxième chose à garder en tête est que tout a un prix. Le Parlement est une grande bête qui ne donne du lait que si on la nourrit. Si elle veut l’équilibre, elle doit voter des impôts. Si nous voulons des revenus, nous devons faire des concessions.

Anchise se demanda ce que Berus pensait de sa première journée au cœur de l’État. Le roi se tourna vers la fenêtre et se mit dos à la froide lumière d’hiver.

— Demain, ils commenceront par faire beaucoup de bruit sur la Nuit des loups, avec moult déclarations de loyauté à mon endroit. Ils demanderont la tête des coupables — le genre de document que vous venez de me montrer. Puis ils se mettront au travail, et la première chose qu’il faudra leur dire est que vous avez fait arrêter Auxence.

Son ami l’avait averti, mais fallait-il qu’il commence par cela ?

— Sire ! Mais…

— Je n’ai pas fini, chancelier.
Il fallait reconnaître que le roi ne paraissait pas y prendre le moindre plaisir.  Je viens de vous le dire, tout se fait par échange. Nous avons besoin de revenus. Nous leur donnons Auxence. Sans cela, ils passeront un Acte de confiscation des biens et de mort civile contre lui. Alors il sera en plus mauvaise posture encore, et nous n’aurons rien obtenu. Vous comprenez ? Et vous êtes nouveau. Nous devons vous rendre populaire, le champion du Parlement. Si vous pouvez tenir quelques sessions, vous aurez accompli quelque chose.

— Sire, ma loyauté…

— Va à votre souverain. Plus le Parlement vous aimera, mieux vous pourrez me servir. Vous avez étudié les comptes, j’espère ?


— Je me les suis fait expliquer.

— C’est ce que je voulais dire. Le Trésor est ruiné. Nous devrons faire beaucoup pour gagner des recettes supplémentaires. La tête de votre prédécesseur ne sera qu’un début. Notre Grand-Œuvre sera refusé. On prétendra que cela menace la stabilité du royaume. Vous avez une dure campagne devant vous, mon garçon ! J’espère avoir choisi un guerrier pour mener mes troupes ?

Et voilà, l’heure était venue pour Anchise de tout tenter. Il pourrait mettre fin à sa carrière de chancelier avec cette simple suggestion. Ou remporter une brillante victoire et sauver son frère d’armes.

— Le conseil de Votre Majesté m’est très précieux. J’ai tant à apprendre… mais pourrais-je me permettre de demander… de faire une proposition, qui est sans doute impossible pour quelque raison légale que je ne saurais apprécier. Mais j’ai confiance que la grande expérience de Votre Majesté saura…

— Vous recommencez à parler pour ne rien dire. Le roi planta les poings sur ses grosses hanches et regarda son nouvel élève avec lassitude.

— Que voulez-vous faire ?


— La loi que je vous ai montrée… elle vous autorisera à fermer tout élémentaire qui irait à l’encontre de la décence publique. Si cette loi était acceptée, je conseillerais à Votre Majesté de proroger le Parlement.

Cela sauverait Auxence.

— Quoi ? Continuez, mon vieux, continuez, dit le roi en l’écoutant, bouche bée.

— Eh bien, pourquoi les imposer si vous pouvez les faire fermer ? Vous pourriez confisquer leurs terres. Pardonnez-moi, Sire, mais personne n’a envie que vous leviez de nouveaux impôts ? 


Le roi revint à sa chaise d’État et s’y enfonça. Anchise attendit d’entendre qu’il était un abruti ignorant atteint de folie congénitale. Si la solution était aussi simple, Hubert ou Auxence ou le roi l’aurait sans doute vue depuis longtemps ? Emeraude allait se moquer de lui, et dans quelques mois — juste assez pour ne pas avoir à reconnaître son erreur de jugement — il se trouverait un nouveau chancelier, qui ne préconiserait pas d’âneries. Oui, le roi commença à rire, mais il rit jusqu’à ce que son ventre se mette à sauter. Les larmes coulaient sur ses joues rougeaudes, jusque dans sa barbe. Quand il parvint à reprendre son souffle, il souffla :

— Ah, et moi qui vous accusais de ne pas être un soldat ! Vous proposez une guerre ouverte ! L’extermination ! Cela paraissait prometteur comme projet.

— Ce sont eux qui ont commencé la guerre. Bien sûr, le danger sera considérable quand ils comprendront ce que nous comptons faire. La garde aurait un millier d’arrêts cardiaques.
Mais Anchise savait que son roi ne reculerait pas devant le danger et il avait eu raison. Le poing royal s’abattit sur l’accoudoir.


— Qu’ils soient maudits ! S’il faut en appeler au général destructeur, nous le ferons. Comment agirez-vous ? Qui jugera ces affaires ?

— Les inquisiteurs seront volontaires, bien sûr, ainsi que l’Académie. Je préférerais nommer une Cour de conjuration indépendante. Enquêter, condamner, disperser, exproprier et passer au suivant. Certains Ordres sont évidemment bénéfiques — dans ce cas, ils seront agréés et autorisés à poursuivre leurs activités. Je ne pense pas que vous pourrez récupérer dans leur entier toutes les terres annoncées par le secrétaire Krestra, et vous pourriez faire sombrer tout le marché de la propriété terrienne, mais je doute que le Trésor se vide en moins de deux ans.


            —  J’ai bien fait de vous choisir ! La peste du Parlement ! C’est magnifique !
Le roi fit claquer ses lèvres, puis ses soupçons habituels revinrent.

— Qui va diriger cette Cour de conjuration ?

— Votre Majesté en nommera les responsables, mais je pense qu’il vous faudra surtout une bande de combattants assez courageux pour prendre par la force ces nids d’iniquité. Ce sera presque une guerre, j’en suis certain. Et les hommes les plus adaptés à cette tâche, Sire, sont les chevaliers de mon Ordre. Comme vous l’avez vu lors de la Nuit des Loups, il en reste des dizaines encore forts et capables, loyaux à Votre Majesté — certains mariés, d’autres non, certains en train de rouiller quelque part. Ils sauteront de joie à cette occasion de vous servir.
C’était la partie de son plan qui lui plaisait le plus. Il donnerait ses terres pour une chance de mener cette armée. Hélas, il savait que cela au moins était impossible. Le roi murmura plusieurs fois :


— Somptueux ! Par Eriath, faisons cela !
Il parut sur le point de se lever de sa chaise, mais se ravisa. Il sourit à Anchise.

— Je récompense ceux qui me servent bien. Que vous faut-il ? Faire sortir Auxence du pays ? La tête de Hubert dans une bouteille ? Dix heures de plus par jour ?


— Pour l’heure, je ne vous ai fait que des promesses, Sire. La récompense ne devrait-elle pas attendre que j’aie des résultats à vous montrer ?
Les yeux perçants du roi examinèrent le chevalier. Il se demanda ce qui se préparait dans l’esprit qui les commandait.

— La peste des hommes honnêtes ! murmura le roi. Je pourrais vous donner un comté, vous le rangeriez dans un tiroir et vous l’oublieriez. Il doit bien y avoir un moyen de vous attendrir, comme les autres.


— L’approbation de Votre Majesté sera ample récompense pour ce que j’ai accompli pour l’heure.
Cela paraissait obséquieux et pourtant c’était vrai. Il avait impressionné ce politicien de haut vol dès sa première apparition dans l’arène politique. Cela lui rappela sa dernière victoire au grand tournoi ; que le temps passe vite quand on est heureux.

— Ha ! Je sais ce qui ne va pas chez vous ! Je savais que vous aviez une drôle de tête. Vous vous promenez à moitié nu. Emeraude regarda autour de lui.


— Garde ? Oh, c’est vous, Commandant, euh, Berus. Apportez-moi l’épée du chancelier !
Clignant des yeux sans comprendre, Berus ouvrit la porte et appela l’un des gardes de l’antichambre. Le roi se hissa hors de sa chaise.

— Secrétaire !


Krestra entra en trottinant, comme un scarabée géant aux yeux fixes.

— Votre Majesté ?

— Faites un édit ! ordonna le roi. Un décret de… Oh, trouvez un nom ! Adressé à la garde.


Il accepta l’épée que Berus lui remit.

— À compter de ce jour, en tout lieu et à tout moment, le baron Saga de Wingmire peut se présenter à nous armé.
Anchise, Berus et Krestra s’exclamèrent au même moment :

— Quoi ?


Puis Hubert contesta :

— Mais Sire, les lectures…

— Mais Majesté, je ne suis pas… Les membres du parlement n’ont pas le droit de paraître armés pour des raisons de sécurité. 


Le roi les fit tous taire d’un coup d’œil et tendit Blizzard, garde en avant, à Anchise.

— Non, vous n’êtes plus chevalier ni commandant. Nous vous récompensons de toute votre loyauté.

Le chancelier accrocha l’épée à sa ceinture. Armé à nouveau son épée qui avait une valeur sentimentale pour lui ! C’était un honneur auquel il n’avait jamais rêvé — le seul homme du royaume à avoir cet honneur… Pour une fois, le visage du secrétaire était un livre ouvert, et la fureur qui s’y lisait valait bien un duché. Le roi souriait. Le chancelier devait être tout aussi transparent. De pareils moments enseignaient la loyauté.

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Même le roi avait sous-estimé la fureur du Parlement. Le simple emprisonnement d’Auxence ne calma pas ses ennemis — cela ne fit que les exciter. Soudain, l’ancien chancelier était l’être le plus malfaisant depuis Sombrom le Terrible, et ni les seigneurs ni les communs n’acceptaient de débattre d’autre chose que d’une mort civile, le condamnant automatiquement à la question. Votée sans heurts par les deux maisons, elle arriva au palais par un matin enneigé, pour y recevoir la signature du roi et prendre force de loi.

Anchise dormit fort mal cette nuit-là, comme toutes les nuits depuis le départ de Meliandre, mais cette nuit fut encore bien pire et il douta que son souverain se sente mieux que lui. Accuser Auxence de trahison, c’était pure folie. D’incompétence, peut-être, car tous les hommes sont faillibles. D’indiscrétion, pour avoir accepté les présents des mauvaises personnes, sans doute. Mais il n’avait rien fait pour mériter ce que cette loi préconisait. Et pourtant, si le roi refusait son accord, le Parlement pourrait lui couper tout revenu. La décision lui incombait. Son chancelier devait le conseiller. Au matin, Anchise s’était presque convaincu que son devoir au roi et au pays exigeait qu’Auxence soit jeté au chevalet. Après tout, la question était un calvaire, mais n’était pas fatale, et elle le disculperait certainement. Il s’était presque convaincu. Mais ce devait être la bonne décision, puisqu’Auxence lui-même en convint. Même alors, il servait son roi ou son ancien ami.

Le chancelier porta la loi à la chambre du roi, pour qu’elle y soit ratifiée. Plus tard, le jour même, il entra à cheval au Bastion, escorté d’un groupe de soldats. Il avait rejeté avec force la proposition du roi de lui lier un nouvel épéiste — mais il pouvait difficilement refuser une escorte. Les hommes apprécièrent cette sortie inutile avec leur ancien chef. En moins d’un mois, le noble Auxence avait vieilli de dix ans. Ses cheveux étaient clairsemés, ses traits tirés, ses bras maigres. Plus surprenante encore était la sérénité dont il faisait preuve, très improbable chez un homme confiné dans une cellule sombre et malodorante, les pieds enchaînés, et vêtu seulement d’une chemise et de braies de prisonnier pour se protéger du froid.

— Vous n’avez rien à craindre, lui dit Anchise. Vous leur renverrez leurs accusations au visage.

Auxence sourit avec tristesse.

— Chacun a ses secrets, Monseigneur. Quand cela aura-t-il lieu ?

— J’espère pouvoir les retenir jusqu’à ce que le roi proroge le Parlement.


— Non, non ! Finissons-en, je vous en prie. Aussi vite que possible. Personne ne me regrettera. Mon honneur est sali.

— Comme vous voudrez. Je m’en charge.


Connaissant cet homme, Anchise s’attendait à sa demande et avait déjà donné les ordres nécessaires. Il n’avait pas besoin de les annuler, comme il l’aurait fait si Auxence avait accepté le délai. Il resta avec le prisonnier et parla du bon vieux temps. Pour lui, n’importe quelle époque passée devait paraître bonne. Et quand les inquisiteurs entrèrent, Auxence fut surpris. Il prit une courte inspiration et dit :

— Vous êtes efficace, Monseigneur. Merci ! En cas de haute trahison, un membre du Conseil privé doit être présent pendant que le suspect est soumis à la question.

Anchise ne déléguerait à personne cette tâche sordide. Mais ce fut la pire expérience de sa vie. Cela n’en finissait pas. L’élémentaire du Bastion n’était qu’un donjon immonde comme les autres, si petit que le chancelier devait s’appuyer contre un mur suintant, les orteils presque en contact avec l’octogramme. Auxence était attaché sur une chaise au centre, son visage miséricordieusement dissimulé par les ténèbres. Au milieu du rituel, Anchise se rendit compte avec rage que l’un des conjurateurs était Hubert. Mais les esprits se regroupaient déjà et il n’osa pas interrompre la cérémonie. La conjuration invoquait l’eau et le feu, mais surtout l’air, jusqu’à ce que le silence parut souffler comme un ouragan. Auxence gémit plusieurs fois et lutta contre ses entraves. Puis il retomba, le menton contre la poitrine.

— L’avez-vous blessé, imbéciles ?

— Il s’est simplement évanoui, Monseigneur, répondit calmement l’inquisiteur. C’est tout à fait normal. Voulez-vous que nous lui jetions un seau d’eau glacée ?


— Bien sûr que non, idiot ! Couchez-le et appelez un guérisseur !

— Je doute vraiment que ce soit nécessaire, Chancelier.


Interprétant les règles aussi librement qu’il l’osait, se disant qu’il faisait simplement preuve de considération pour son escorte et pour les sentiments d’Auxence, Anchise rentra au palais. Deux jours plus tard, il se présenta devant le roi avec l’impression que sa tête avait mariné toute la nuit dans le vinaigre. Il lâcha une liasse de papiers d’un pouce d’épaisseur sur les genoux du monarque.

— Il n’y a rien là-dedans pour condamner un renard d’avoir volé des poules. Il a accepté des présents — mais cela n’a jamais influencé ses décisions. Il a parlé durement de vous dans votre dos — quel genre d’homme aurait-il été sans cela ? J’ai dit bien pire moi-même. Il a attendu avant d’exécuter certains de vos ordres, espérant que vous changeriez d’avis. Il vous a laissé le vaincre à l’escrime. Depuis quand la flatterie est-elle un crime ? Sire, cet homme est innocent ! Vous ne pourriez trouver de serviteur plus honnête et plus fidèle.
Le roi le fixa de ses petits yeux froids.

— Allez lui parler.


— Quoi ?

— Allez parler au prisonnier ! C’est un ordre, Chancelier !


Ainsi, Anchise retourna au Bastion. Il trouva Auxence dans la même cellule sombre et puante, essayant tant bien que mal d’écrire dans les ténèbres — sur le sol, sous la mince colonne qui laissait passer un peu d’air et de lumière, puisqu’il n’avait pas de table. Autour de lui, des monceaux de papiers.

— Seigneur Saga ! s’exclama-t-il.
Il se mit sur ses pieds avec empressement, faisant sonner ses chaînes.
            — Je suis heureux de vous voir ! ajouta-t-il, proche des larmes.

           — J’ai lu vos déclarations et…


— Mais il y a tant d’autres choses ! Tant d’autres choses que je voulais ajouter, et on ne me laissait pas faire ! Oh, mon ami, j’accueille avec joie l’occasion de vous narrer comment je vous ai trahi ! J’étais jaloux. Je vous détestais pour votre adresse à l’épée ! Quand vous m’avez vaincu lors de ce tournoi, j’ai voulu vous attaquer avec une arme véritable. Quand vous avez vaincu le roi lors de votre première nuit à la cour, nous révélant tous comme les hypocrites que nous étions, je vous ai dit tant d’horreurs ! Je vous détestais pour ma propre honte, pour la disgrâce où vous nous plongiez, la garde et moi. La première fois que nous nous parlâmes, la nuit de mon serment, je suis venu vous remercier. Mais pas par reconnaissance. Non, simplement pour paraître grand et généreux.  Attendez, j’ai tout écrit ici.
Il commença à farfouiller dans ses papiers. Il ne s’arrêterait pas, ne pourrait jamais s’arrêter de confesser le moindre petit péché ou tort imaginable qu’il n’avait jamais commis ou envisagé. Même le plus insignifiant. Il ne fallut pas longtemps au chancelier pour comprendre que c’était un coup d’Hubert, il avait détruit un deuxième ami à lui. Après quelques minutes, Anchise martelait la porte et criait qu’on le laisse sortir. Ce changement, lui apprit-on, était permanent. Il rentra au palais. Il porta au roi l’arrêt de mort en silence. En silence, le roi le signa.

Epeistes : Les Chevaliers de SeirosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant