07 : Coupure

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COUPURE

✧ COUPURE ✧

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Assise aux côtés de maman, j'essayais de m'intéresser à la conversation qu'animait Eleena sans réellement y parvenir. J'étais obnubilée par la personne qui se trouvait en face de moi. Par le copain de ma sœur. Nathan, pour les intimes.

La grande table en bois était remplie de nourritures, mais je n'avais pas la tête à me goinfrer de grillades jusqu'à en vomir, contrairement à papa qui mangeait suffisamment pour nous deux. Enfant, mon manque d'appétit inquiétait énormément mes parents. Ils me forçaient à manger, ne considérant pas qu'ils étaient la cause qui me dégoûtait de la nourriture.

— Tu ne veux pas un peu plus de viande, Em' ? Demanda maman, se rendant compte que je ne mangeais pas beaucoup ce soir.

— Peut-être plus tard.

Elle hocha la tête sans y croire. Ma mère me connaissait suffisamment. Elle savait que ma faim dépendait de mes humeurs, et que si je ne souhaitais pas manger, c'est ce que j'étais préoccupée. Et je lui en étais reconnaissante de respecter ça. Par conséquent, je pouvais me consacrer à Nathan et les souvenirs récents de l'après-midi passé.

Les questions fusaient dans ma tête, ne me laissant aucun répit. Cependant, je ne parvenais pas à trouver des réponses à ces dernières.

Depuis quand était-il présent ? Savait-il que ce n'était pas un accident ? Pourquoi n'avait-il rien dit ? Allait-il en parler ?

Je reportai mon regard sur lui, qui semblait absorbée par le contenu de son assiette, et complètement désintéressée de la conversation. Comment lui en vouloir ? La situation économique du pays n'était pas un sujet qui me passionnait non plus.

C'était la première fois qu'il ne me lançait aucun regard espiègle, qu'il n'affichait aucun sourire mesquin. Il semblait penseur. Cet air grave sur son visage ne me rassurait en rien. Réfléchissait-il à comment exploiter ma faiblesse ? À sa place, c'est ce que j'aurais fait.

Il allait riposter, j'en étais persuadée. Je ne lui accordais pas ma confiance. Je ne l'attribuais à personne pour être honnête. Tout le monde trahissait. Tout le monde. C'était véridique.

Et j'étais bien placée pour savoir que Nathan n'était pas quelqu'un de confiance.

Alors que comptait-il faire ? Raconter à ma sœur que j'avais besoin de me faire interner ? Foutaises. Elle ne le croirait pas, n'est-ce pas ?

À la recherche du moindre indice, je n'osai cligner des yeux. Avec attention, je l'analysais ; l'ombre qui ondulait sur son beau visage, lui donnait un air mystérieux, la façon dont il s'acharnait sur la viande trahissait son agacement et pour la première fois depuis le début du repas, je remarquai la fine coupure que je lui avais infligée.

Il ne l'avait pas caché.

Quel idiot !

Comment pouvait-il être aussi bête ? Qu'avait-il dit à Eleena ? Lui avait-il menti ? Il était évident qu'il l'avait fait, un menteur restait un menteur. Ni plus, ni moins.

Je m'autorisai à détailler la coupure, oubliant que nous dinions. L'entaille était fine. Si fine qu'elle pouvait passer inaperçue si nous n'y faisions pas attention. Pourtant, elle était bel et bien présente. C'était le signe que je n'étais pas une abeille dont il pouvait se débarrasser en un geste de la main, mais un serpent venimeux, prêt à l'empoisonner s'il s'approche de trop près.

Alors que j'étais fascinée par la blessure de Nathan, j'entendis ma sœur me poser une question.

— Tu souhaites venir à l'église avec papa, maman et moi dimanche ?

Son regard était accusateur, noir. Elle ne semblait pas apprécier que je fixe son petit-ami comme une tarée. Ma sœur devait sûrement penser que j'analysais son copain pour l'intimider. C'était mon procédé lorsqu'elle nous présentait un garçon. Je me comportais en petite sœur protectrice. Et je jouais si bien mon rôle que Sullivan, son ancien copain, ne s'avisait jamais de soutenir mon regard, trop intimidé. Néanmoins, ce n'était pas le cas de Nathan.

— Je passe mon tour, répondis-je, affichant une moue innocente.

Eleena était la fille parfaite, contrairement à moi, qui était le mouton noir de la famille Stewart. Elle se rendait à l'église le dimanche avec papa et maman, elle faisait du bénévolat lorsqu'elle en avait l'occasion et tentait de sauver la planète. Je ne savais pas réellement pourquoi ça m'étonnait qu'elle reprenne ses vieilles habitudes à Carpinteria.

La froideur de New York l'avait épargné, et inconsciemment, j'étais jalouse. Parce que moi, je ne m'étais jamais sentie aussi seule et insignifiante depuis la ville qui ne dort jamais. Une métropole froide et une fille paumée ne faisaient pas bon ménage.

— C'est dommage, répondit ma sœur avant de se tourner vers Nathan. Et toi, tu viendras ?

Pour la première fois depuis cet après-midi, nos yeux se croisèrent, mais cet échange ne dura pas plus d'une seconde. Je ne pus saisir la chance de sonder son regard avant qu'il tourne la tête pour faire face à ma sœur.

— Non, ça ira. Je préfère bosser sur mes projets, mais merci de proposer, Lee'.

Sa voix était calme et posée. Il n'affichait pas clairement son agacement, mais on pouvait la deviner en observant de près son langage corporel. Mais personne ne le remarqua. Eleena se contenta de hocher la tête avant d'entamer une conversation avec lui, me laissant l'occasion de me replonger dans mes pensées et d'oublier le reste.

VenimeuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant