Avant, je ne m'expliquais pas comment un empire aussi vaste que l'empire rhakan pouvait exister.
Évidemment, je comprenais comment un chef et son armée étaient capables de s'emparer d'un territoire par la force. Mais je ne comprenais pas comment, une fois la guerre finie, le pays soumis pouvait soudain faire tout naturellement partie de l'empire. Comment il pouvait passer d'hostile à partisan. Comment il pouvait accepter la culture de l'envahisseur et s'y plier, jusqu'à la revendiquer un jour comme la sienne.
J'étais persuadée que l'autorité rhakane ne tenait que par la menace de son armée terrifiante, et les durs traités passés avec chacun des pays vaincus. J'imaginais chaque peuple rongé par la rancœur, des fleuves d'animosité traversant l'ensemble du territoire, prêts à le démanteler à la première crue.
Mais depuis que je suis ici, je me rends compte qu'il me manquait un important élément de réponse ! Ce sont les cours d'Histoire de la Dynastie et, étonnamment, surtout ceux de littérature, qui me l'ont apporté.
Les récits épiques rhakans, historiques comme imaginaires, sont une propagande subtile qui donnerait envie à n'importe qui de rejeter son identité pour adopter celle de leurs héros. Ces derniers sont aussi différents et uniques qu'admirables, avec leur mélange savant de qualités et de défauts. Certains sont de nobles érudits ou combattants, d'autres d'habiles roturiers sans le sou. Mais tous donnent envie, quelque part, d'être comme eux.
J'ai beau continuer de préférer ma culture aux mœurs impériales, je ne peux m'empêcher à mon tour d'être charmée par ces personnages courageux, astucieux, honorables ou dotés d'esprit et d'humour. Ils donnent une image séduisante de l'empire, idéale, tout en renvoyant des autres cultures l'impression qu'elles sont, au mieux archaïques et primitives, au pire ridicules et ringardes.
Je ne sais pas exactement comment les auteurs de ces histoires font pour arriver à cet effet. Mais je vois maintenant comment, entre ses avantages technologiques et sa culture, autant de peuples ont pu si bien accepter leur intégration à l'empire.
Peut-être ont-ils fait au départ un mélange du meilleur des deux civilisations, jusqu'à perdre la leur au fil des ans ou des siècles... J'espère que ça ne m'arrivera pas. La culture kaeli m'est bien plus chère. Et puis, ces histoires rhakanes manquent un peu trop d'héroïnes.
Après le cours d'Histoire de la Dynastie, vient le cours de couture, puis celui de poésie. Lorsque ce dernier se termine, Jihanei vient me prendre à part en murmurant d'un ton conspirateur :
- Alors ? T'as quelque chose pour moi ?
Heureusement que les filles se sont empressées de me faire écrire une réponse pour Semkei hier soir, sinon j'aurais complètement oublié !
Je me rends compte que je n'ai pas parlé de ça à l'empereur. J'aurais peut-être dû... mais je me suis à moitié endormie sur le toit, bercée par sa chaleur et sa voix. Il m'a donc encouragée à retourner me coucher et je l'ai quitté en le remerciant, sans penser à lui demander si l'on se voyait toujours aujourd'hui. On devait se retrouver pour qu'il me montre mon contrat, mais puisqu'il l'a fait cette nuit, j'imagine que ce n'est plus d'actualité.
Discrètement, je confie la lettre à Jihanei. Elle la prend en souriant et la range si vite qu'on croirait que rien ne s'est passé. Les filles m'attendent pour aller au réfectoire, je les rejoins rapidement, mais une surveillante nous arrête au moment où nous déboulons dans le couloir.
- Mademoiselle Fannan ! assène-t-elle d'un ton sec. Venez avec moi, je vous prie. Vous autres, vous pouvez vous rendre au réfectoire.
C'est pas vrai ! Qu'est-ce que j'ai encore fait ?! Les filles me jettent des regards perdus, s'éloignant à pas traînants dans l'espoir de ne rien perdre de mon échange avec la surveillante.
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Le Harfang & Le Loup - T2 - Le Manipulateur d'Énergie
FantasyTaïmi, une kaeli qui a le don de pouvoir aider les fantômes, a dû quitter son nord bien aimé pour venir s'installer à la cour rhakan, après avoir épousé en secret l'empereur, Kianshei. Elle ne se plaît pas à la cour, se méfie de l'empereur qui cach...