Le petit groupe qui entourait Semjinkin se retire derrière nous, et nous nous mettons en chemin.
Tous, ils portent des tenues modestes, bien moins voyantes que celles des autres nobles. Celle de Semjinkin est même principalement noire, seules des broderies dorées et rouges y apportent de la couleur, l'accordant au thème de la fête. Je sais que ce n'est pas par manque de moyens, ça doit donc plutôt être parce qu'ils ne se sentent pas les bienvenus et préfèrent se faire discrets.
L'avantage de déambuler en leur compagnie c'est qu'on est sûr de ne pas se faire marcher sur les pieds ! La majorité des personnes que l'on croise n'osent pas s'approcher. Je constate toutefois que si les aristocrates ont de la méfiance dans le regard, chez leurs domestiques c'est plutôt de la crainte.
Bizarrement, Semjinkin n'a rien de particulier à me demander. Et il m'emmène réellement vers un autre coin de la fête, où j'aperçois bientôt plusieurs petits pavillons devant lesquels des gens font la queue.
Apparemment, les pavillons abritent des conteurs d'un genre un peu particulier.
D'abord, ils mêlent presque équitablement narration et action, incarnant par moments leurs personnages sur scène. Ensuite, leur texte est très travaillé, il est empli de subtils jeux littéraires, références, images poétiques... qui m'échapperont très certainement. Semjinkin m'assure toutefois que ce n'est pas gênant.
Car si le conteur-acteur insuffle dans sa prestation son esprit et son érudition, il le fait de manière fine. De sorte que ceux qui n'ont pas reçu de grande éducation apprécieront autant que les lettrés, simplement pas forcément pour les mêmes raisons.
C'est là toute la difficulté d'ailleurs de cette pratique originaire de l'ouest de l'empire, et dont Semjinkin semble aussi fier que passionné. On ne peut plus l'arrêter sur le sujet ! Il m'explique qu'il existe même des concours entre ces conteurs-acteurs.
Plusieurs fois, il s'arrête pour attirer mon regard et celui de ses compagnons sur tel spectacle, telle bonne odeur d'épices ou telle pâtisserie. Ils échangent quelques mots, joyeux et insouciants. Sa compagnie n'a rien de désagréable, ni de terrifiant. Et il n'a vraiment rien à me demander...
Est-ce que je l'ai jugé trop vite à cause de mes à priori ? Il me semble normal de faire confiance à Xemtei. Mais en même temps, ça me paraît injuste de condamner cet homme uniquement sur des on-dits. Même Xemtei n'a que des soupçons envers lui.
La seule chose que j'aurais pu avoir à lui reprocher est de s'intéresser à l'adolescente que je suis censée être. En tant que Suirei, j'ai dix ans de moins que lui ! Mais même là, je ne peux rien dire : il n'est absolument pas dans un rapport de séduction.
Au contraire ! Il s'adresse plutôt à moi comme à une petite sœur. Une petite sœur qu'il respecte assez pour la vouvoyer, certes, mais qu'il côtoie avec une forme de bienveillance paternelle.
À l'énième long coup d'œil que je lui lance, il s'arrête pour s'étonner :
- Vous m'observiez déjà comme ça l'autre jour, au temple !
Méfiante, je demande :
- Comme ça quoi ?
- Si seulement je savais ! rétorque-t-il, penaud. La plupart des gens ici me jettent de rapides coups d'œil mécontents, curieux, craintifs ou envieux... ou bien me toisent avec dureté et défiance, comme votre cousin. Mais vous, je n'arrive pas à déterminer ce que votre regard signifie...
- Euh, c'est juste que... je ne vous connais pas, alors je ne sais pas trop quoi penser de vous.
- Peu de personnes ici me connaissent vraiment, commente-t-il avec ironie. Mais ils n'en pensent pas moins.
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Le Harfang & Le Loup - T2 - Le Manipulateur d'Énergie
FantasyTaïmi, une kaeli qui a le don de pouvoir aider les fantômes, a dû quitter son nord bien aimé pour venir s'installer à la cour rhakan, après avoir épousé en secret l'empereur, Kianshei. Elle ne se plaît pas à la cour, se méfie de l'empereur qui cach...