Le Harfang & Le Loup - T2 - Le Manipulateur d'Énergie

25. Nul et Non Avenu

Le temps se fige un instant. Les yeux grands ouverts mais la bouche close, je sens mon cœur pulser dans mes oreilles.

Mon visage complètement déboussolé me vaut un nouveau rictus de la part de Kianshei. Laissant tomber ses coudes sur ses genoux, dépité par ma réaction, il tourne la tête et son regard s'enfuit encore plus loin.

Essayant de remettre en place les pièces de ce puzzle-ci, qui ne devrait pourtant pas être bien compliqué, j'affirme prudemment :

- Vous avez dit que vous m'aimiez bien, mais...

- Non, m'interrompt-il. Ça ce sont les sentiments que vous avez bien voulu me prêter. Je ne vous ai pas contredite, car ce n'était pas totalement faux. Mais la vérité, c'est que je vous aime.

J'avale ma salive, embarrassée, avant de bougonner :

- Mais... ça ne fait pas très longtemps que je suis là... ni qu'on se connait...

- Et ? fait-il avec un calme impérial, balayant l'air devant lui. J'en ai vu assez pour tomber amoureux de vous ! Ce n'est peut-être pas rationnel, mais c'est ce que je ressens ! J'admire votre courage, votre bonté, votre intelligence, votre vivacité d'esprit, votre pragmatisme... la liste est longue ! Et comme si ça ne suffisait pas, il faut en plus que vous soyez la plus belle femme de l'empire..., ajoute-t-il le regard pétillant.

- Oh...

Par les esprits ! Oui, là, c'est sûr, pour être aveugle à ce point, ça doit être de l'amour !

Comment ai-je fait pour ne pas m'en rendre compte ?! Est-ce que c'est parce que je suis habituée à laisser les gens indifférents, ou parce que ce n'était pas si évident à voir ? Ou peut-être, plus simplement, est-ce parce que ça me paraissait peu probable.

Que je l'attire physiquement, pourquoi pas. Qu'il me trouve sympathique, je veux bien. Mais à quel moment cet homme intelligent et instruit, habitué à vivre dans un environnement si complexe, peut s'enticher de moi ?

Comparée à n'importe quel impérial, je ne suis qu'une barbare stupide et ignorante, et il le sait ! Pourtant... il vante mon intelligence et ma vivacité d'esprit ?!

Ma mine troublée le fait immédiatement s'exclamer :

- Je sais que ce n'est pas réciproque ! Et je ne vous en demande pas tant. Votre amitié... eh bien, votre amitié, c'est déjà beaucoup. Bien sûr, je...

Mal à l'aise, il se passe la main dans les cheveux avant d'agripper sa nuque en poursuivant :

- J'aimerais avoir plus. Et je... je m'empêcherai difficilement d'être jaloux de celui qui aura vos faveurs. Mais... vous êtes libre d'aimer qui vous le souhaitez et je... je ferai ce qu'il faut... pour que vous soyez heureuse, qui que vous choisissiez, conclut-il.

Eh bien ! Je me retrouve si surprise que je n'ai rien de mieux à répondre qu'un pataud :

- Euh... eh bien... m... merci.

Je contemple mon thé, muette, ne sachant quoi ajouter.

Le plus étrange, c'est que si ça avait été Semkei, je l'aurais fermement repoussé. Je lui aurais tout naturellement répondu que je n'étais pas intéressée. Parce qu'un tel aveu mérite une réponse.

Alors pourquoi suis-je incapable de faire ça à présent ? Et si c'est parce qu'il me plaît, pourquoi suis-je tout aussi incapable de l'encourager ?

Devant ma mine déconfite, il souffle doucement :

- Pardonnez-moi. Je n'avais pas prévu... je ne pensais pas me confier aussi abruptement. Je ne voulais pas vous mettre dans l'embarras.

Mais qu'il arrête de s'excuser ! C'est moi qui me sens honteuse de ne pas pouvoir réagir et de bafouiller des réponses aussi plates ! Je réponds donc, éberluée :