32. La conteuse

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 *Et voilà le chapitre d'avril ! Bonne lecture à vous ! J'espère qu'il vous plaira :) *

Nous sommes à peine arrivées au niveau des autres que la conteuse ralentit le pas avant de s'incliner. Sa nuque semble bien raide et sa posture hésitante, comme si elle n'était pas habituée à la cour.

- Monsieur... un grand merci pour votre proposition, souffle-t-elle en se relevant. Je ne suis pas certaine que j'aurais pu rentrer sans ça.

- C'est un plaisir, répond Semjinkin. Votre prestation tout à l'heure nous a enchantés.

- Merci, monsieur.

Toujours aussi intimidée, la conteuse sourit de manière crispée. Si les paroles de Semjinkin sont belles, son ton est monocorde, son attitude distante, et son sourire sans chaleur. 

Ses compagnons se comportent de même. Ils se sont mis légèrement en retrait après avoir adressé à la nouvelle venue des sourires composés, réservés. Polis, oui, mais froids. Semjinkin s'est finalement rapproché de moi, tout en lui tournant le dos.

Est-ce que c'est à cause de la différence de statut social ? En tout cas, pas un seul instant la conteuse n'ose croiser nos regards, ni se tenir trop près de nous. Gênée, elle triture ses manches, la tête tournée vers la foule, y guettant sans doute son père et son petit frère.

Je pensais qu'en tant que passionné du conte-joué Semjinkin discuterait avec elle. Mais non, il ne s'intéresse pas du tout à la conteuse, préférant écouter ce que raconte Rajunsen. Navrée de la voir ainsi délaissée, je marche vers elle pour lui demander :

- Comment est-ce que vous vous appelez, grande sœur ?

Voilà qui la fait sursauter ! Elle pivote vers moi, étonnée, avant de répondre en battant des paupières :

- Hayamei, mademoiselle.

Elle se présente comme le font généralement les serviteurs, juste avec un prénom. Hum ! Je me demande quel est son statut exactement... Même une noble déchue comme Dayarun garde une posture et une dignité qui trahissent ses origines. J'en déduis que la conteuse n'a jamais fait partie de l'aristocratie. 

Si elle appartenait à une famille de dignitaires de la cour, elle serait mieux habillée. Et s'il s'agissait plutôt de fonctionnaires, elle ne serait pas aussi perdue. Mais elle ne peut pas venir d'une famille de paysans, de marchands ou d'artisans, même aisés... sinon elle n'aurait jamais le temps de pratiquer le conte-joué en amatrice ! Dans l'empire, seules les femmes de la noblesse civiles sont censées avoir le luxe de ne pas travailler... Alors ? En tout cas, je ne suis pas la seule surprise. En entendant son prénom, Semjinkin s'est enfin tourné vers elle, interloqué, répétant :

- Hayamei...

- Oui, monsieur. On est des originaux dans ma famille ! rit-elle. Mais ça, vous deviez déjà vous en douter puisque vous m'avez vue conter.

- Effectivement.

Jamais les yeux de Semjinkin n'ont été aussi impénétrables. Jusqu'à présent, à chaque fois qu'il me parlait, ils pétillaient d'enthousiasme. Leur couleur s'animait, pareille à celle d'une rivière bondissante couverte de reflets par un soleil printanier. Mais maintenant qu'il s'adresse à cette femme, ils se figent comme la banquise. Leur bleu clair n'en est que plus givré, toujours aussi beau, mais avec un quelque chose d'effrayant.

Pourquoi ni lui, ni les autres, ne se présentent ? D'ailleurs, j'ai l'impression que la conteuse ne l'aurait pas fait si je ne lui avais pas demandé son nom. L'étiquette change donc tant que ça dès que les statuts diffèrent ?!

Je comprends d'autant mieux le comportement de Tsadei et sa bande à mon égard, et pourquoi même les filles de mon dortoir au départ était sur leur réserve avec moi. Il y a vraiment un monde entre les gens de la noblesse ou avec un statut important, et les autres...

Le Harfang & Le Loup - T2 - Le Manipulateur d'ÉnergieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant