Le Harfang & Le Loup - T2 - Le Manipulateur d'Énergie

15. Les anciens esprits

Je prends plusieurs longues inspirations, histoire de me calmer. Les odeurs de sauge et d'encens emplissent aussitôt mes narines. Même si je me trompe ce n'est pas grave, il n'y a pas mort d'homme ! Ce ne sera qu'un mauvais moment à passer. Et plus tard, je n'y penserai plus.

Hélas, j'ai beau me répéter tout ça : rien à faire, je demeure toujours aussi anxieuse. Parmi les prêtresses, Rinsheng m'adresse un sourire confiant. Impossible de savoir s'il est sincère, ou si c'est surtout pour m'encourager. Dans la loge impériale, Xemtei fait de même. L'empereur garde les yeux rivés sur scène, où danse Gureng. Semkei, près de sa famille, semble aussi angoissé que moi.

Bon. Je connais les pas, je connais les mouvements, j'ai juste à faire la même chose qu'en entraînement, c'est tout. Ce ne sera jamais aussi joli et gracieux que la danse de Muishei ou Hutian. Ce ne sera certainement pas aussi magique et époustouflant que celle que Gureng est en train d'accomplir. Mais ce sera honorable. Enfin, j'espère...

Jusqu'à présent, je ne m'inquiétais pas autant pour cette cérémonie. Bien moins que mes amies en tout cas ! Mais maintenant que je me tiens là, derrière l'estrade, prête à monter, c'est à mon tour de paniquer. Comme si je prenais seulement conscience que tout ça était bien réel.

Je ne pensais pas que le temps filerait aussi vite aujourd'hui.

Après mon échange avec l'empereur, je suis partie retrouver un Semkei ravi de voir que je n'avais pas fui pour l'éviter. J'ai fait de mon mieux pour m'amuser, même si j'avais la tête pleine de ces histoires de fantômes, comme des tentatives de rapprochement de l'empereur.

Je ne suis pas quelqu'un de timide. Je ne suis pas non plus inexpérimentée en matière d'hommes. Pourtant, à chaque fois qu'il me complimente ou qu'il cherche le contact avec moi, j'éprouve de la gêne. Semkei peut remettre une mèche de cheveux derrière mon oreille, ou me dire que je lui plais. Je suis éventuellement surprise, mais pas embarrassée. Avec Kianshei, c'est différent.

Est-ce que c'est parce que j'ai encore du mal à lui faire confiance ? Ou parce que ça me semble vraiment trop incongru ? Ou encore, parce qu'il me plaît un peu plus que je ne le voudrais, et que je ne vois pas ce rapprochement comme une très bonne chose ? Difficile à dire.

Quand je repense à sa question, sur comment il doit s'y prendre pour me charmer, je dois admettre qu'il n'y a pas de réponse. Selon moi, on est qui est on est, et certains seront charmés, alors que d'autres non.

Oui, bien sûr, on peut manifester son intérêt, flatter la personne qui nous plaît, essayer de capter son attention... c'est ce que Kianshei fait. Ce que j'appelle être "charmeur", même si ce n'est pas forcément le bon mot car rien ne garantit que ça fonctionne !

Les moments où il me plaît le plus, c'est lorsque nous travaillons ensemble ou, comme l'autre soir sur le toit, lorsqu'il est naturel et bienveillant envers moi. Et non quand il me taquine, me complimente à outrance, ou envahit un peu trop mon espace. Pourtant, c'est avec cette attitude qu'il a l'air de croire qu'il va obtenir gain de cause.

Est-ce que c'est vraiment ce qui marche le mieux pour lui d'habitude ? Peut-être. Après tout, c'est vrai qu'il doit avoir du succès. J'imagine que la plupart du temps, quand quelqu'un lui plaît, il n'a qu'à le dire pour que ça suffise !

- Ne t'en fais pas, tu n'as qu'à faire de ton mieux et puis ça ira..., me souffle Hutian en surprenant mon air pâlot.

Elle dit ça, mais son expression crie : "Ça va être un désastre, la pauvre".

En me voyant arriver avec les épées tout à l'heure, Rinsheng leur a expliqué quelle danse j'allais exécuter. Hutian a poussé un cri plaintif, Muishei a froncé le nez, et Gureng a contemplé la prêtresse avec effroi comme si elle était devenue folle. Autant dire que ça ne m'aide pas à me sentir confiante.