45 | Nous étions faits pour nous trouver

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HAYDEN

J- inconnu

23h12

Villa Müllirch, à deux heures de Florence, Italie

     

Je pourrais vous dire que je n'ai pas été ensorcelé au premier regard mais ce serait un terrible mensonge. Parce que je suis tombé amoureux d'elle le jour où je l'ai rencontré.

    

Je souriais du mieux que je le pouvais aux convives de la soirée aussi ennuyante que les conversations que mon père me forçait à échanger avec cette jeune Indienne. Je n'avais d'ailleurs pas la moindre idée de la façon dont je m'étais retrouvé dans ce manoir perdu au fin fond de la Toscane, à siroter des cocktails hors de prix en compagnie de tout le gratin italien. Si l'architecture de la villa ne m'avait pas tant plu, avec ces hautes arches en pierre et ses fenêtres gothiques, je serais sans doute parti depuis longtemps.

Des éclats de rire me parvinrent de la salle principale dans laquelle Herr Müllirch jouait à l'intéressant, racontant à qui voulait bien l'entendre l'histoire d'un pauvre allemand qui avait fortune dans la vigne. Sa belle histoire familiale inventée de toutes pièces, le mensonge qu'il servait à tous ceux qui daignait lui vouer un intérêt quelconque.

Un auditoire funeste auquel j'étais forcé de prendre part.

Si je voulais m'enfuir d'Angleterre, loin de Père et de sa tyranne, il fallait à tout prix que je sois dans les petits papiers de ce charlatan qui organisait des soirées fastueuses sans compter à la dépense. Et ce, quitte à vomir devant mon hypocrisie au sourire parfait.

Je finis d'un trait mon verre et grimaçai quand l'alcool brûla ma gorge sèche. Je n'aimais pas perdre le contrôle des choses mais j'étais persuadé que je ne pourrais affronter la société des autres en étant sobre. Je respirai un bon coup et me décidai enfin à quitter mon couloir, pourtant aussi richement décoré que les salons de Versailles.

Je bousculai sans doute des invités mais je n'avais rien d'autre à l'esprit que le rôle exécrable que j'allais devoir jouer. Pour fuir un tyran de père j'allais devoir sympathiser avec un clown bariolé dans un costume aux rayures jaunes et, alors que j'arrivais devant Herr Müllirch, un sourire poli aux lèvres, je ne savais toujours pas ce qui était le mieux.

Haïr mon cher père ou me détester moi-même ?

— Lord Wolff ! me salua l'hôte de la soirée avec un plaisir feint.

Les têtes convergèrent immédiatement dans ma direction et l'intérêt brillaient dans leurs yeux porcins. Ils dégoulinaient de fausseté, éclaboussant les murs de la lueur avide de leurs regards et de leur sourire qu'ils pensaient charmeurs. Je n'y arriverai pas et tout ça était au-dessus de mes forces. Je n'étais décidemment pas assez saoul pour faire cette bêtise.

— Je serais Lord quand mon père sera mort, Monsieur.

Ma réponse était froide et il le comprit aussi bien que tous les convives. Mon air blasé ne les trompa pas non plus. Herr Müllirch dodelina de la tête, comme s'il cherchait à me mettre en garde mais de toute manière j'avais pris ma décision : je ne voulais pas devoir quelque chose à cet homme.

Je détournai la tête et saisit au vol une nouvelle coupe de champagne. Ils comprirent le message et reprirent leurs conversations comme si je n'étais plus là. Mon doigt s'enroula autour du cristal de mon verre et je ne perçus soudain les bruits de la pièce qu'au travers d'un brouhaha infernal. Voilà. J'avais scellé mon destin. 

Invité pour affaires, j'étais venu avec mon mépris d'Anglais et de potentiel associé, j'étais devenu le méprisable fils de Lord qui n'avais rien mais qui pensait pouvoir tout avoir. Celui qui ne serait plus jamais le bienvenu dans la demeure trop tape-à-l'œil d'un fils d'officier nazi qui avait su échapper à la justice et se construire l'image d'un mécène généreux.

NÉMÉSIS | LES ROSES DE ROME T.1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant