NÉMÉSIS | LES ROSES DE ROME T.1

39 | Quand les monstres se rencontrent

EMILIO

J+ 2

16h39

Villa Grimaldi, Agrigente, Italie

    

Il y a une chose que les monstres détestent : la possibilité que d'autres monstres soient plus malins et plus dangereux. C'est pour ça que Grimaldi n'a pas appuyé sur la gâchette. Le simple doute que ce que Caleb raconte soit vrai a suffi à le faire changer d'avis.

Dire qu'il nous a épargné me paraît un peu exagéré car c'est nous qui venons de lui sauver la vie. Nous avons truqué les cartes pour que les dés soient en sa possession, nous avons offert le pion de la reine à son coup fatal. C'est lui le nouveau maître du jeu désormais.

— Il ira à Florence ?

Je me détache du barreau de notre cellule et rencontre le regard océan de Caleb qui, assis sur sa paillasse, me dévisage aussi sérieux que son visage de con le permet. Je ne souris pas, je n'y arrive plus car la situation ne me fait pas rire. Au contraire, je me sens tellement coupable que j'ai écorché mes ongles sur le métal de notre geôle, brisant en même temps mes poignets maintenus en avant de moi par des menottes de mes couilles.

— Bien sûr qu'il ira à Florence.

Quitte à mettre l'Italie à feu et à sang, Grimaldi est prêt à tout pour réduire chaque concurrent en cendre. La vengeance est une histoire de famille, une putain d'histoire prestige, une tradition qui coule dans ses veines, une violence qu'il déguste au dîner en repensant à ceux qu'il a enfoui six pieds sous terre. Quand le lion entrera dans l'arène, car croyez-moi, il y entrera, le combat commencera vraiment. Rosalia Spinam comprendra qui est Grimaldi à l'instant même où il plantera ses griffes dans la chair tendre de son cou.

— Certain ?

—Il ne la laissera pas redonner du pouvoir au nom Spinam, qui plus est en vendant un tableau qui lui appartient.

Bien sûr que tout n'est qu'une histoire d'égo : c'est à qui sera la plus fort, le plus cruel, celui qui aura la plus grosse. Pourtant, c'est évident que la peur s'y entremêle aussi : c'est à qui craquera le premier, exposera ses faiblesses et laissera l'autre lui asséner le coup fatal. Je n'ai jamais joué aux échecs, je suis trop con, mais c'est pourtant bien ça : on veut à tout prix utiliser la plus belle stratégie mais on craint terriblement celle de l'adversaire. C'est d'ailleurs à cause de tout ça que nous sommes de retour à Agrigente, enfermés dans une cellule, traîtres en quête de rédemption.

Rosalia Spinam n'a pas assez peur pour être une joueuse fiable.

Je jette un coup d'œil à mon frère, mal en point depuis que ces connards l'ont jeté comme une merde dans cette pièce. La rancœur est plus forte envers l'enfant prodige que contre l'asiatique pas assez italien pour mériter le respect. Je quitte ma place et me rapproche de mon frère qui se débat avec les cheveux poisseux qui lui collent au front.

— Allez laisse-moi faire sinon on va y passer l'année.

Il grogne dans son coin mais me laisse l'aider du mieux que je peux avec mes mains toujours liées entre elles par ces putains de sangles qui me lacèrent la peau. On gigote comme des imbéciles avant que je parvienne à éloigner ses mèches châtaines de ses yeux de blaireaux. Je reste à côté de lui et fixe, en silence, le couloir qui nous fait face. Je hais cette maison du plus profond de mon âme donc je hais cette cellule, ces couloirs trop richement décorés pour un sous-sol, ces gardes enrôlés dans une connerie de mafia qui finira par les dépasser.

C'est un sacrifice d'être ici aujourd'hui.

— On ne va pas mourir, Emi.

Même lui n'arrive pas à s'en convaincre parce que bien sûr qu'on peut mourir à tout instant. Nous n'avons rien d'autre que l'espoir pour nous maintenir en vie. Je tourne à demi ma tête vers Caleb et fais ce que je sais le mieux faire : mentir comme un arracheur de dents.