01 | Ennui mortel

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EMILIO

J- 57

15h37

Quartier Pigneto, Rome, Italie


— On est dans la merde jusqu'au cou, Cal.

Il ne cille même pas à l'entente de ma voix, trop absorbé dans son putain de charabia informatique. Ça doit bien faire trois heures qu'on est là comme des cons, sans bouger d'un pouce, et il n'a pas dû prononcer plus de dix mots. Pour ma part, rester là à attendre qu'on se fasse choper comme des brêles, ça me plaît moyen.

Je réenclenche bruyamment le chargeur dans mon Glock mais, là encore, je n'ai droit à aucune réaction. Je me lève difficilement, les jambes engourdies d'avoir passé la journée à attendre. Ça ne doit faire que deux semaines qu'on est en cavale et je passe la plupart de mon temps à ne rien faire, à me ramollir en attendant que ça passe. J'espère que de là où il est, mon père ne me voit pas parce qu'il me tuerait sûrement de ses propres mains s'il me voyait comme ça, faible et inutile. En contournant Caleb sans même qu'il s'en rende compte, j'aperçois son écran d'ordinateur ouvert sur des dizaines de sites différents. Quand je le vois se mettre à appuyer frénétiquement sur toutes les touches de son clavier, je commence à me dire que ce mec est sans doute taré.

— Tu branles quoi là ?

J'ai accompagné ma question d'un petit coup sec sur son épaule pour le faire sortir de sa transe. Cette fois-ci, il réagit en stoppant net la danse de ses doigts sur son portable. Il bascule la tête en arrière, cale sa nuque sur le dossier de sa chaise et consent enfin à m'offrir un regard.

— Tu me parlais ? me demande-t-il d'une voix exténuée.

Ma main s'écrase sur sa tête de trouduc et je secoue ses cheveux bruns pour les emmêler. C'est ma petite vengeance personnelle pour l'indifférence dont il a fait preuve. Il grogne comme une bête furieuse et se lève brusquement pour m'attraper le poignet et me le tordre. Abruti comme il est, il a peine agrippé ma main que je lui balance mon genou dans l'entre-jambe. Fallait m'écouter quand je te parlais, stronzo.

— T'es trop prévisible comme garçon, Emi.

Je me rends compte que je viens de me faire niquer comme un bleu quand sa main libre attrape sur ma jambe et la tire vers lui pour me faire perdre l'équilibre. Mon dos claque contre le sol et je m'écrase en moins de trois secondes, le choc provoquant des secousses de ma tête à mes tibias. La tête sur le parquet, le corps remué par ma défaite, j'enrage comme un lion. Sa main apparaît devant mes yeux et je vois à son visage qu'il me propose de faire la paix. Comme si je pactisais avec les traîtres.

Je me relève sans accepter son aide, à la force de mes bras fatigués et je me remets sur pied en époussetant exagérément mon vieux jean noir qui risque. Il me regarde faire sans rien dire mais je vois bien qu'un petit rictus moqueur se dessine sur son visage.

— Allez, fais pas la gueule ! lance-t-il.

Je ne réagis pas et je me la joue aussi indifférent que lui il y a quelques minutes. Il souffle mais finit par s'approcher de moi en tendant à nouveau sa main dans ma direction.

— D'accord, je suis désolé de t'avoir battu aussi facilement. La prochaine fois je ferais semblant si tu veux.

Je déteste ce type.

— Je vais faire semblant de n'avoir rien entendu parce que sinon je n'ai plus de vie sociale. T'es un petit bouffon mais au moins tu sers de petit toutou de compagnie.

Je lui adresse mon plus beau sourire hypocrite puis lui serre la main. Il en profite pour hausser les sourcils avec tout le sarcasme dont il est capable et il serre plus fort ma main dans le sienne pour me l'écrabouiller. Je finis par abdiquer à contrecœur, après une lutte acharnée qui me détruit les os et réduit ma dignité en miettes.

NÉMÉSIS | LES ROSES DE ROME T.1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant