68 | Tuer pour expier, mourir pour oublier

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ROSALIA

J- inconnu

Heure inconnue

Lieu inconnu

               

Chaque Homme poursuit un but. Certain l'affirme haut et fort, le hurle à la foule pour se donner la force de l'atteindre tandis que d'autres se contentent de l'enfouir au plus profond de leur âme parce qu'ils ont bien trop peur des conséquences. Ils sont terrifiés par les sentiments qu'ils ressentent et c'est pourquoi ils attendent désespérément que quelqu'un comprenne leur choix.

Je ne vous raconte pas mon histoire pour obtenir votre pitié ou pour que vous me trouviez moins horrible au vu de mon passé. Je voudrai juste que quelqu'un comprenne à quel point c'est devenu dur de se battre encore et toujours, à quel point c'est difficile de survivre.

Voilà peut-être pourquoi je me sacrifie tout sur mon passage.

La fois dernière, nous nous étions arrêtés à ma première tentative meurtrière. Aujourd'hui, j'aimerai vous faire part de ma première réussite. Si mes gestes avaient été hésitant et mes mains tremblantes, ma détermination, au contraire, n'avait pas vacillé une seule seconde. Une lame dans le cœur. Propre et net, sans douleur et sans remord.

Je n'avais jamais revu l'homme qui avait violé la femme dont le cadavre était depuis longtemps dévorée par les rats. C'était un autre qui était venu ce matin-là mais il lui ressemblait tout autant. Mon père l'avait regardé lui apporter un sceau en métal sans broncher. Je commençais à comprendre ce qui risquait de se passer mais je ne faisais mine de rien et me terrait dans le coin de la pièce, la plus silencieuse possible.

C'était naïf de croire que je pourrais y échapper. C'était bête de croire que je voudrais y échapper puisque l'amour rend aveugle.

La rose en métal gravée au bout d'un pique avait fini dans la cheminée. C'est lui qui tenait le manche du fer rouge, mon papa. L'homme qui, par affection pour moi, avait tué tous ceux qui aurait pu oser me sauver. En sortant des flammes, le morceau de métal était rougeoyant et le parfum métallique du sang semblait flotter dans la pièce comme une fumée emplie de promesses.

J'ai dû retirer mon pull et j'ai dû relever mes cheveux en chignon. J'ai dû courber l'échine devant ces deux hommes pour qui je n'étais plus rien d'autre qu'un pion délicieux et j'ai dû me taire et retenir les cris quand le fer s'est enfoncé dans ma nuque mais je n'ai pas réussi. J'ai hurlé, hurlé encore et personne n'est jamais venu. Au fond, c'était peut-être la chose la plus gentille qu'il avait faite pour moi car cette fois au moins, la douleur était tangible et je pouvais m'y accrocher.

Mais quand votre chair carbonise et que l'odeur de votre peau s'insinue dans vos narines, vous ne pouvez pas réaliser à quel point ce geste est un acte d'amour. Vous vous contentez d'avoir mal alors qu'il concrétise l'adoration que vous lui vouez. Il s'imprime en vous pour que toujours, vous soyez ensemble, pour que toujours vous le fassiez vivre au travers de vous et pour que toujours, vous pensiez à lui en demandant à votre famille d'arborer la même marque que la sienne.

Êtes-vous vraiment certain d'avoir bien compris ?

J'avais donc fini par devenir ce dont il avait toujours rêvé. Je détestais Donato Grimaldi de tout mon cœur et le souvenir de mon père ne pourrait plus jamais disparaître dans les méandres de mon esprit. Il était trop fort ou juste trop ardent pour que j'arrive à oublier rien que le temps d'un instant.

J'avais réussi là où mon frère aurait dû exceller. J'avais prouvé, en endurant ses épreuves sans un mot, que j'étais la digne fille de mon père et que, peu importe le coût, je le vengerai. Je serais de celles capables de réduire le monde en cendres et d'anéantir les autres pour une simple vengeance entre deux monstres trop lâches pour s'affronter eux-mêmes.

Ce n'était pourtant jamais assez.

Je suis incapable de vous dire comment il s'appelait car je l'ai simplement oublié mais je me souviendrai toujours de son regard empli d'espoir et de rêves. Il avait tout ce que j'avais perdu sur cette île égarée dans ces eaux mortelles. Un mirage de celle que j'avais un jour été et un rappel de celle que je ne serais plus jamais.

Il a dit que c'était mon demi-frère, né d'une nuit d'un soir avec une prostituée de Vérone. Pourtant, tout ce qu'il était à mes yeux, c'était un petit garçon de neuf ans qui s'apprêtait à perdre la joie qui animait son sourire éclatant. Avant même que mon père ne me le présente officiellement, je savais déjà ce qu'il me restait à faire. Il ne méritait pas de connaître le même amour paternel que moi et il était nécessaire de préserver son innocence des séquelles de la passion paternelle.

Tentez de me comprendre si vous le pouvez.

J'ai attendu que la nuit tombe et que le monstre s'endorme. Je suis alors sortie de ma chambre sur la pointe des pieds, évitant les planches du parquet qui grinçaient toujours et retenant ma respiration devant les chambres que je savais occupées. Après des nuits d'entrainements et de cuisants échecs qui m'avaient valus quelques cicatrices, je savais comment entrer dans une pièce sans me faire voir, comment me glisser loin des rayons de la Lune pour surprendre mes proies.

C'est ainsi que j'aurais dû tuer Grimaldi, sans avoir à mêler ma famille à toute cette affaire mais organiser un stratagème d'aussi grande envergure me permettait de montrer à tous que j'étais plus que ce que mon père avait créé. Devenir voleuse d'œuvres d'art c'était une manière de rendre hommage à ma mère et ce braquage était une révérence à un ange partie trop tard. Parce que là où elle était sûrement, je voulais qu'elle voit que je n'avais finalement pas tout oublier.

Alors même qu'oublier était devenu la plus crue de mes obsessions.

Il ne m'a pas entendu entrer dans sa chambre aux murs encore vides et aux fenêtres cloisonnées. Je me suis approchée de lui comme une ombre silencieuse et j'ai pris le temps d'observer ses traits délicats apaisés par le sommeil. Il n'avait pas encore connu la peur, je le lisais sur son visage d'enfant. Je me voyais en lui et j'avais comme l'impression de me contempler dans ses joues rebondies et ses lèvres esquissant encore le fantôme d'un sourire.

Je suis tombée amoureuse de sa candeur et je compris. La dague dans ma poche compris et les maux dans ma tête comprirent à leur tour. En plantant ma lame dans les profondeurs de son cœur, le soulagement éprouvé me fit comprendre la seule vérité qui pouvait résister au temps.

L'amour, le véritable amour, ne se concrétise que dans la mort. C'est pour ça que j'aime tant un jumeau que je n'ai pas eu le droit de connaître. C'est pour ça que je me sens coupable face à ce garçon plus jeune encore que moi. C'est donc également pour ça que je finirai par tuer mon père de mes propres mains.

J'ai pleuré à en avoir les yeux secs et l'esprit vide. J'ai pleuré toutes les larmes que j'avais retenues si longtemps. J'ai pleuré pour cette vie volée mais je n'ai pas versé une seule larme pour lui.

De nous deux, il était celui qui avait eu la chance de mourir. 

                  

                                

NÉMÉSIS | LES ROSES DE ROME T.1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant