41 | Première balafre

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CECILIA

J- inconnu

Heure inconnue

Quantico, Virginie, Etats-Unis

     

J'ai toujours été jalouse de ma sœur.

Elle était tellement plus forte que tout ce que je n'aurais jamais pu être. J'enviais son optimisme, sa force et son courage sans faille. J'étais jalouse de celle qu'elle était et plus que tout, de sa capacité à résister, à ne pas se faire marcher dessus, à acquérir l'avantage sur tous ceux qui pensait pouvoir la prendre de haut. Elle était forte, j'étais faible et ça me rendait terriblement envieuse.

Mais un jour, j'ai compris pourquoi elle était aussi déterminée. C'était sans doute déjà trop tard puisque j'étais vouée à toujours arriver trop tard pour espérer la sauver.

Tout ce que je pensais d'elle, cette fureur que je lui trouvais, tout ça n'était qu'un beau ramassis de conneries. Rien n'était vrai et tout n'était qu'une putain d'illusion. Un prodigieux mensonge que je n'avais même pas été capable de comprendre. C'était une actrice sans pareille, l'une des plus grandes que je connaîtrai de ma vie.

Je n'ai jamais autant pleuré que ce jour où j'ai compris.

Tout a commencé ce mardi après-midi où, alors que j'étais attendue au stand de tir avec mes coéquipiers, on était venue me chercher pour m'emmener voir le commandant du centre. Je me souviens encore des moqueries de Mathias et des mises en gardes de Leïla tandis que je m'éclipsais avec un grand sourire pour eux et une terreur sans nom au creux du ventre pour moi et ma sœur. Agatha était confiante mais Cecilia était terrorisée par cette convocation sans raison évidente.

Il m'avait accueilli dans un bureau trop grand pour sa petite silhouette et trop tape-à-l'œil pour un simple commandant un camp d'entrainement, aussi prestigieux soit-il. Il n'y avait rien de bien compliqué à saisir : il recevait des sommes exorbitantes pour vendre ses élèves à l'Etat, pour les engraisser et les offrir en présent à tous les grands pontes du pays. Je détestais cet homme. Sa fausse modestie et son hypocrisie avait le don de m'exacerber et je savais qu'il en était de même pour ma sœur.

Il ne recevait jamais grand monde ici et ses intentions n'étaient jamais désintéressées. J'avais donc poussé la porte avec la terreur de ne pas pouvoir m'échapper. Depuis que nous étions arrivées, nous n'avions rien d'autre qu'un mince espoir de s'en sortir indemnes. Pas le rêve d'un avenir radieux, non, mais celui d'un jour, peut-être, disposer de nous-même comme bon nous semblait. Je voulais offrir la possibilité à ma sœur de renaitre loin de tout ça, à l'écart de cette violente folie qui nous apprenait à défier la mort le plus sereinement possible.

Mais la mort faisait peur et la considérer comme une amie était une erreur qui pouvait coûter le prix d'une vie, qui allait coûter le prix d'une vie.

Il me considéra avec un grand sourire, trop grand pour paraitre vrai, puis m'invita à m'assoir en face de lui mais il ne fit pas le moindre geste pour m'imiter. Il préféra instaurer sa hiérarchie, renforcer sa position dominante en restant aussi droit qu'il le pouvait, debout sur ses deux jambes, tournant autour de son bureau comme un lion en cage. Il voulait ainsi me rappeler que mon sort dépendait de son bon-vouloir, m'obliger à assimiler qu'il aurait toujours l'ascendant sur moi et sur ma sœur.

— Quelle est la mission ?

Je n'avais pas attendu qu'il parle le premier. Je voulais en finir au plus vite, retourner auprès de ma jumelle qui saurait comment me rassurer dans ses bras qui pouvaient sans doute supporter le poids d'un monde entier. Il me considéra avec un regard indéchiffrable avant de complètement me tourner le dos et de se poster près de la grande fenêtre qui donnait sur le sentier de footing.

— Tu te souviens sans doute d'Alberto Spinam, le plus grand mafieux d'Italie.

— Celui que Donato Grimaldi a tué avec votre soutien, complété-je, perplexe quant au sujet de la conversation.

Qui aurait pu oublier l'un des plus grands mafieux du Nord de l'Italie, réduit en cendre par un ennemi tout aussi réputé ? Aujourd'hui encore on parlait de lui à la télévision, on se souvenait de son empire, on filmait des reportages pour relater sa vie et se souvenir de la terreur qu'il avait fait régner. L'Épine de Rome, l'orgueilleux qui avait attisé la colère d'un lion arrogant.

Le monde de la drogue n'aurait pas pu rester bien longtemps avec deux chefs qui en revendiquaient l'hégémonie : il fallait que l'un d'eux meure pour que l'autre vive.

Le commandant fit demi-tour mais n'osa pas m'adresser un regard, sûrement honteux de ce qu'il allait demander à cette arme que nous étions bien malgré nous. Il farfouilla à ses papiers parfaitement ordonnés puis finit par ouvrir la bouche :

— Il a une fille.

Ma réponse fut immédiate :

— Impossible. Il n'aurait pas élevé une fille.

Un baron de la mafia tel que l'avait été Spinam n'aurait jamais pris la peine d'élever sa descendance si ce n'était qu'une pauvre petite fille. C'était fou de se dire que la plupart du temps, ceux qui avaient le pouvoir étaient des monstres sexistes jusque dans leur propre cercle familial. Il n'aurait pas accepté qu'une fille reprenne son empire, c'était évident.

Il l'aurait tué avant même qu'elle soit née.

— Et pourtant, il l'a fait, reprit l'homme face à moi. Il l'a d'ailleurs trop bien élevée. Je veux que tu trouves cette Rosalia Spinam et je veux que tu le fasse seule.

Il voulait que ce soit moi, la plus faible des deux, qui se charge de la mission. Ma plus grande faute ce jour-là ce fût d'avoir eu ce sursaut d'égo qui me poussa à hocher la tête. Je voulais arriver à quelque chose par moi-même, lui montrer que j'étais capable de me montrer aussi forte qu'elle. De me sentir enfin légitime d'être sa sœur.

Si vous saviez à quel point j'ai honte.

— Et après ?

Mais sans ça, je n'aurais jamais su.

— Et après, je veux que tu la tues. 

    

    

NÉMÉSIS | LES ROSES DE ROME T.1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant