54 | Douce solitude

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JULIA

J+ 8

14h56

Villa Grimaldi, Agrigente, Italie

    

Je ne savais pas que j'avais peur du noir.

J'ai toujours détesté les endroits exigus, me sentant prise au piège, mais jamais je n'avais cru que cette terreur s'accompagnerait d'une phobie aussi enfantine. J'ai peur du noir et je n'arrive pas à faire semblant que tout va bien depuis que je suis enfermée dans cette maudite Chambre.

J'ignore si les larmes qui ont séchés sur mes joues datent d'un jour ou d'une heure parce qu'en fait, je ne sais plus rien. J'ai bien essayé, au début de trouver quelque chose à quoi me raccrocher, mais il n'y a rien dans cette pièce plongée dans la pénombre, seulement des murs noirs trop lisses, des volets impossible à soulever et un silence noir qui s'insinue dans votre esprit comme un poison létal.

On vient me chercher quelques fois pour m'emmener pisser mais je n'ai jamais le droit qu'à un putain de bandeau sur les yeux qui m'empêche de retrouver la vision ou d'apercevoir quelque chose de différent de ce noir infernal. Je n'ai plus conscience de rien, ma nourriture n'a plus de goût et le temps défile ou ne défile pas sans que je puisse le suivre.

Je ne savais pas que j'avais peur du noir avant de réveiller en hurlant en plein milieu de la nuit ou du jour sans arriver à calmer les tremblements de mon corps. Je ne pensais pas que la solitude serait à ce point insupportable et je me pensais prête à y résister mais je suis obligée de reconnaître l'évidence. Je suis terrifiée.

L'effort me paraissait minime. Une pièce noire et un silence constant ne semblait avoir rien de bien compliqué. Sauf que je crois que je deviens folle maintenant que j'ai compris le but d'un tel lieu. Je griffe ma peau pour me raccrocher à quelque chose de tangible mais l'obscurité permanente me fait sans cesse douter. Peut-être que je dors, peut-être que tout ceci n'est pas réel, peut-être que je me réveillerai bientôt avec l'affreuse sensation d'un cauchemar trop longtemps rêvé.

C'est facile d'espérer quand vous n'avez plus rien à quoi vous accrocher. Le moindre bruit vous fait penser que l'horreur est bientôt finie et le moindre sursaut vous donner l'impression que quelqu'un est venu vous sauver. Il faut juste accepter de souffrir quand le silence revient et que vous êtes toujours là.

Mes ongles s'enfoncent dans la paume de ma main jusqu'aux gouttes écarlates et j'étouffe un petit cri. Je dois rester certaine de l'alternance réalité-sommeil si je veux avoir une chance de m'en sortir. J'ai toujours détesté perdre mes repères : c'est comme si j'acceptais de livrer ma vie à quelqu'un d'autre, de la remettre dans les mains du hasard. Je ne peux pas. Je suis trop peureuse pour laisser sa chance au destin de me refaire du mal.

J'ai trop enduré pour jouer avec ma vie encore une fois.

— Je m'appelle Julia. J'ai vingt-six ans. Je suis né dans le Colorado.

Personne ne me répond. C'est la même rengaine depuis le début : je parle seule dans l'attente de la suite. Pourtant le temps passe et je crois que je commence à avoir peur que personne ne vienne jamais me sortir de ce trou. Après tout, si je ne reviens pas la suite n'en sera que plus simple. Venir me sauver c'est prendre des risques alors que me laisser moisir dans cette chambre noire c'est l'assurance de réussir. Force est de constater que durant ma misérable existence, je n'ai jamais été très utile à qui que ce soit.

J'ai l'impression d'être un pion dans un jeu qui me dépasse.

J'ai confiance en eux, oui, mais le noir est plus fort que la rationalité. Il me rappelle à quel point je suis insignifiante, il me chuchote que je mérite ce qu'il m'arrive et il murmure que je resterai seule toute ma vie.

NÉMÉSIS | LES ROSES DE ROME T.1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant