NÉMÉSIS | LES ROSES DE ROME T.1

67 | Détruire à en faire trembler les Dieux

HAYDEN

J+ 9

05h55

Villa Spinam, île inconnue, Mer Ligure

     

Si je devais définir mon caractère, je dirais que je suis quelqu'un d'extrêmement calme. Peu de choses ont le don de m'énerver ou de me faire sortir de mes gonds, moins encore celui de me faire regretter mes choix. Mon père est l'une de ces exceptions.

C'est sûrement bête à dire mais plus il était distant, plus j'avais besoin qu'il aime. Je ne sais pas ce que veut dire n'exister que pour soi et quand on dit qu'un tableau ne vit qu'au travers de celui qui le regarde, moi, ça veut dire que je n'existe qu'au travers des autres. Ma personnalité est plate, mon rôle facilement remplaçable et mon histoire banale pour ce monde.

Je n'ai rien du personnage remarquable, celui dont on se souvient, celui que l'on préfère à tous les autres. Je sers un dessein, je ne poursuis pas le mien. Je suis l'ami du héros, l'amant de l'escroc, le complice du bourreau mais je ne suis pas Hayden Wolff.

Spinam claque la porte derrière elle et s'avance vers moi sans avoir le courage de relever la tête pour croiser mon regard. Je l'observe traverser le vaste hall en faisant semblant de ne pas voir les marques que les sbires de Grimaldi ont laissé derrière eux. Je reste impassible quand son bras me frôle et qu'elle commence à me chuchoter des mots que je redoute depuis maintenant plusieurs mois.

Je reste le dos droit et le regard franc parce que je sais bien qu'Alexander scrute nos faits et gestes depuis son poste d'observation. Il doit maintenant avoir remarqué que, tous les deux, nous n'avons plus nos oreillettes. Au fond, je m'en veux de lui faire ça.

Spinam continue son monologue que je connais déjà par cœur. Elle me répète comment les choses vont se dérouler quand son ennemi de toujours entrera dans la pièce. Pourtant, je vois bien au ton froid qu'elle emploie et à son allure distante, qu'elle sait pertinemment à quel point son choix sera terrible à vivre pour ceux qui ne seront pas là.

Alors que je ne suis pas prêt, elle n'a jamais été aussi déterminée.

C'est égoïste ce qu'on s'apprête à faire. La voilà l'autre exception, l'autre situation que je regrette d'avoir laissé se faire. Une Rose aux épines épaisses pour masquer les cicatrices, voilà ce qu'elle est. Le pire, c'est qu'elle ne déteste même pas cet homme qu'elle s'apprête à tuer.

J'aurais dû la convaincre que Grimaldi pouvait mourir autrement. J'ai été lâche de ne rien dire, de la laisser rendre les choses aussi compliquées et surtout, je lui en veux tellement de ne pas m'avoir donné la possibilité de lui montrer que les morceaux se recollent toujours un jour ou l'autre.

Les derniers mots s'éteignent à peine dans sa bouche qu'elle tente de s'enfuir loin de moi. J'attrape son poignet avant qu'elle ne m'échappe et la force à rester encore un peu à mes côtés. Elle refuse de se tourner mais, entre mes doigts, je sens ses muscles se tendre. Sa respiration se bloque et je suis trop attentif à la moindre de ses réactions pour qu'elle arrive à me le cacher.

— L'autre nuit n'a rien changé, n'est-ce pas ?

Même si je sais qu'Alexander n'a pas le son de la villa, je ne peux pas m'empêcher de murmurer. Je vois qu'elle cille mais ses lourdes boucles m'empêchent de deviner l'expression de son visage. Dans ma tête repassent en boucle les images de son corps contre le mien, de nos corps ne faisant plus qu'un.

— Ne te méprend pas, Wolff. Ce n'est pas de l'amour.

Je l'ai déjà compris mais pourtant c'est toujours aussi douloureux à entendre. Cette fois, elle se dégage et je la laisse faire. Je savais à quel point tomber amoureux d'elle me ferait souffrir. Après tout ce qu'on a vécu, j'espérais encore qu'elle renoncerait à sa vision erronée de l'amour mais je pense qu'il aurait fallu une autre vie entière pour lui faire entendre que son père ne la traitait pas avec amour. Elle aura beau se persuader du contraire, je sais ce qui nous unit et c'est tellement plus fort que de l'amour, tellement plus puissant que de la possession.