Chapitre 5

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Plus elle se rapprochait, plus il m'était facile de la distinguer. C'était une certitude, je ne pouvais y échapper. Combien d'années s'étaient écoulées depuis la dernière fois que je l'avais vu ? Beaucoup trop. J'avais alors un mince espoir pour qu'elle ne se souvînt pas de moi ; mais si dans ma tête, c'était comme si l'on s'était quittée la veille seulement – et même si j'avais oublié ce souvenir –, alors, il était fort probable que dans la sienne aussi ça fût le cas.

Elle avait les cheveux courts, comme à l'époque, à peine au-dessus de ses épaules, et châtain clairs toujours ; j'étais secrètement jalouse de sa couleur naturelle, et je l'étais encore un peu d'ailleurs. Elle était dans cette zone floue à l'équilibre parfait, entre le blond et le brun. Je me souvenais de cette après-midi catastrophique, où j'avais essayé, sans grand succès, d'imiter sa couleur et résultat des courses, je m'étais retrouvé avec une teinte qui n'avait aucun sens, qui ne voulait rien dire, à des années-lumière d'elle.

Je l'observais toujours, elle avançait dans le jardin, en sifflotant, semblait-il. Et je ne savais pas si c'était la perspective, ou si elle n'avait pas grandi depuis, mais je devais avoir, facilement, une demi-tête de plus qu'elle. Soudain, elle se tourna vers la fenêtre, celle-là même où je la regardais, comme une grande psychopathe que je suis ; les rideaux me cachaient un peu, et j'avais croisé son regard qu'une fraction de seconde avant que je ne me jette au sol. Quelques instants plus tard, elle frappa à la porte. J'allais l'ouvrir, et tentais de prendre un air sérieux, celui d'une personne qui ne la connaissait pas ; alors, devant la porte, hésitante, les mains crispées, je ne fis rien, et elle frappa de nouveau :

– Il y quelqu'un ? demanda-t-elle de l'autre côté.

– Oui ? rétorquai-je avec une voix mal imitée de vieille dame.

– Euh... Vous avez appelé pour une urgence de lavabo, c'est bien ça ?

Je me raclai la gorge, puis de me propre voix, un peu fébrile tout de même :

– Ah ! Oui, c'est ça, c'est bien ça !

Et après un silence gênant, elle dit :

– Vous ouvrez la porte ?

– Oui ! C'est mieux.

Lentement, mais sûrement, j'ouvris ladite porte. Et par le plus grand des hasards, celui empli d'ironie, on s'était regardé dans les yeux. Alors, on était restées comme ça, quelques secondes, à peine une minute, sans se parler, trop choquée l'une et l'autre par ces retrouvailles forcés. Elle avait toujours sur son visage ses taches de rousseur – forcément, elles n'allaient pas disparaître du jour au lendemain –, c'étaient les mêmes qui m'avaient fait craquer pour elle ; et je ne pus retenir un petit sourire à la vue de ces dernières, un doux-amer, celui des bons souvenirs qu'on regrette d'avoir oublié.

Je savais qu'elle savait, elle savait que je savais ; et un grand secret de Polichinelle s'installa doucement entre nous deux. Je n'avais pas le cran de lui demander, pour confirmer, si l'on se connaissait. La réponse était terriblement évidente. Oui, on se connaissait. Mais ni elle, ni moi, pour une raison obscure encore, n'avions osé passer le pas, poser la question. Et après cette courte éternité à se regarder sans parler, elle se racla la gorge, et balbutia ;

– Je viens pour... le lavabo.

Si j'étais dans mon état normal, j'aurais explosé de rire ; la situation devenait de plus en plus cette parodie bas de gamme de films licencieux. Moi en peignoir, elle en salopette de travail. Je m'étais écartée de la porte pour la laisser passer, et avant même que je ne lui indique la direction, elle s'était dirigée tout naturellement vers la cuisine. Bien sûr qu'elle connaissait le chemin. On a passé des jours,  qui se comptent en mois, ensembles dans cette maison.

Toi, Moi, La fin des temps. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant