Chapitre 10

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On s'était regardées, longuement, trop longuement. Et il fallait que je me sorte de cette situation ; alors, par je ne savais quelle sorcellerie, je lui avais dit, sur un ton qui se voulait drôle, comme s'il ne s'était rien passé ce matin, comme si je ne lui avais pas laissé un lapin, comme si on avait gardé contact durant toutes ces années :

— Je viens pour réparer le lavabo !

Et, après un silence de sa part, m'enfonçant encore plus dans cette bêtise :

— Avec mes deux bouteilles de rouge...

Elle fronça des sourcils, subrepticement. Il était clair que ma tentative d'humour, désastreuse et chaotique au possible, n'avait pas eu l'effet escompté chez Zooey. Elle inspira simplement des narines, me regarda avec un voile étrange sur les yeux, peut-être de la déception, peut-être de la mélancolie ; quelque chose de triste, en tout cas. Alors, baissant les épaules, je lui dis, avec toute la sincérité de mon être, les yeux fuyants :

— Je suis désolée... pour ce matin...

Zooey avait fini par me sourire, de pas beaucoup, timidement ; elle haussa les épaules, dans un petit mouvement furtif, comme pour dire « c'est pas grave, puisque tu es là... mais quand même, tu abuses, meuf. » Ça m'avait détendue, un peu. Je lui ai rendu son sourire, et elle me sourit de plus belle, encore.

Elle portait une courte salopette en jean, déchirée par endroit, et par-dessus, un tee-shirt rouge, où était marqué quelque chose en blanc, que je ne pouvais pas lire, cachée en partie par les bretelles. Elle croisa les bras, s'appuya contre l'encadrement de la porte ; et je voyais, tomber le long de son cou, se poser sur sa clavicule gauche, un atébas tout jaune.

Et dans le même instant, je m'étais rappelé la naissance de cette fantaisie capillaire, du jour où elle s'était lancée dans ce projet. C'était l'une de ces après-midi d'ennui, où tu m'avais dit « je veux voir jusqu'où ça peut aller. » Et en voyant la longueur respectable de ton unique tresse, je m'étais aussi rappelé de la rapidité avec laquelle le temps passe.

Puis, tu m'avais dit, en caressant imperceptiblement tes bras avec tes doigts :

— Tu veux rentrer, je suppose ?

Je fis oui de la tête, et c'était à ce moment que ta mère, dans une entrée fracassante, venait nous voir, en disant, un peu agacée, parce qu'apparemment, elle t'appelait depuis bien cinq minutes, et que tu ne répondais nullement :

— Alors qui c'est ?! Nom de Dieu !

Et, quand elle me vit, en face de toi :

— Oh, mais ça, pour une surprise ! Là v'là qui est là !

Elle me sauta dessus, presque, me fit un énorme câlin, à moi et à mes deux bouteilles de vin. J'avais écarquillé des yeux, et Zooey me regardait, d'une hilarité silencieuse, impuissante et presque aussi étonnée que moi. Je ne m'attendais pas du tout à une telle abondance d'affection. Et quand elle brisa notre étreinte, elle me pinça les joues, après les avoir embrassées chaleureusement de deux bises humides, de cette manière qu'ont les grand-mères quand elles revoient leurs petits enfants.

— Tu ne peux pas savoir à quel point ça me fait plaisir de te voir, Leah ! me confia-t-elle tout sourire.

— Je crois, dis-je un peu secouée, que j'ai une petite idée de votre joie, Evelyn.

Et, elle se tourna vers Zooey, lui dit, faussement fâchée :

— Pourquoi tu ne m'as pas dit qu'elle viendrait ?! quand même !

Zooey ne répondit pas, fit simplement une moue qui ne voulait rien dire. Alors, sa mère, se tournant vers moi :

— Tu ne vas pas rester là, allez, viens ! il faut fêter ton retour !

Toi, Moi, La fin des temps. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant