Je m'étais assise en face d'elle, dans le salon ; toutes les deux sur nos fauteuils respectifs, on s'était regardées, l'une et l'autre, dans un premier temps, sans prononcer le moindre mot. Il y avait cette ambiance de fin de soirée triste, le calme d'une maison vide, et le ronronnement continu et sourd du réfrigérateur. On avait tellement de choses à se dire que l'on ne savait pas par quoi commencer ; Zooey, tout comme moi, n'osait pas prendre la parole la première. Je n'ai jamais été très friande de ce genre de discussion, et à ce moment-là, je n'avais qu'une seule envie : me jeter dans les bras de papa.
C'était un besoin primaire qui s'animait en moi à chaque épreuve difficile que j'eus rencontrée. Malgré ses défauts, parfois ses absences, et ses proportions à être plus que tête en l'air, je me sentais bien avec lui ; il avait toujours ce petit mot pour me remonter le moral, cette petite attention qui me rendait le sourire. Contrairement à ma mère qui, dans la plupart des cas, me servait un verre de jus d'orange – parce que la vitamine, ça guérit tout – et me pinçait les joues : « ça te passera ! les garçons, ça va, ça vient, et c'est pareil pour les filles ! » me disait-elle, toute fière. Alors voilà, je me serrais les bras dans une auto étreinte, pensant sans vraiment le contrôler à papa.
— Tu veux commencer ? finit-elle par dire d'une voix étranglée.
— Et bien... dis-je après un long souffle.
Puis, rien.
— C'est peut-être ridicule de ma part de dire ça, continua-t-elle. Mais, on est adulte, toi et moi. Peut-être qu'il faudrait juste dire ce qu'on a sur le cœur ?
— Oui, je suppose, affirmai-je.
Et, après un silence, à se tortiller les doigts, Zooey, continua :
— Ok, alors, je commence.
Je déglutis, la regarda droit dans les yeux, le souffle coupé. Et elle :
— Ça serait mentir, me mentir, que de dire que je ne ressens rien pour toi. Et aussi bizarre que ça puisse te paraître, j'ai ces sentiments depuis longtemps... Très longtemps, pour être tout à fait honnête avec toi.
J'hochai de la tête, par approbation. Zooey, dans un même souffle :
— Et je sais que toi et moi, on n'est plus si pareille qu'avant. Je ne sais même pas si un jour, on a été semblable. Mais le fait est que... je t'apprécie énormément, et je pèse mes mots. J'en veux pour preuve ma jalousie, qui m'énerve au plus haut point, mais qui est là, quand tu parles à... cette personne. Et quand on est que toutes les deux, je me sens bien, je me sens vivante, je me sens... comme avant...
— Comme avant ? lui coupai-je la parole.
— Avant que tu ne partes, répondit-elle. Alors, je sais que toi et moi, c'est... très compliqué, tu as ta vie, j'ai la mienne, et à la fin de l'été, tu dois partir. Je n'ai pas envie de souffrir, Leah. Je... je... je ne sais pas comment te le dire alors, je vais juste te dire que je t'apprécie beaucoup, vraiment beaucoup, mais j'ai pas envie d'en pâtir, pas encore une fois. Et je ne suis pas en train de te dire que c'est de ta faute, non.
Elle roula des yeux, souffla brièvement, et, dans un rire jaune :
— Je crois que je dois me rendre à l'évidence, j'ai un problème avec l'attachement. Bref. Je veux juste savoir en quoi m'en tenir.
La balle était dans mon camp, Zooey avait livré ce qu'elle m'avait à dire ; et je sentais dans sa voix que ça lui avait demandé beaucoup d'effort de se mettre à nu comme ça, de me donner crûment ses émotions. Quelques larmes timides dévalèrent ses joues. Moi, toujours les bras croisés, le dos droit, la tête bourdonnante, je la regardais ; j'étais prise d'anxiété et de peur, de peur de mal faire, de lui faire mal ; je me demandais bêtement ce que papa aurait pu me dire, pour me conseiller. Alors, tout comme Zooey, je me décidais de me donner pleinement ; je lui devais ça, au moins.
— Je t'apprécie beaucoup aussi, commençai-je par dire. Et c'est d'une réciprocité absolue, en quantité. Je t'aime beaucoup, comme tu m'aimes beaucoup, j'en suis sûre.
Ses joues s'empourprèrent d'un rose pâle à la prononciation de ces mots qu'elle n'osait pas énoncer avant ; mais, les miennes aussi. J'avais lâché ces trois mots sans vraiment le vouloir. Et, prise de court par ma propre personne, j'avais bégayé deux ou trois syllabes qui ne voulaient rien dire ; avec beaucoup de mal pour reprendre une diction normale, j'avais secoué la tête de gauche à droite :
— Mais tu as raison, à la fin de l'été... et bien... je m'en irais. Je ne sais pas ce que toi, tu comptes faire, cela dit.
Elle leva les épaules, laissa un silence pour que je pusse continuer à parler.
— C'est vrai que c'est compliqué, mais sache que ce que je ressens pour toi, tout ce que je ressens pour toi, est totalement vrai.
Une bouffée de chaleur me monta aux joues et aux épaules. Dans cette situation de stress, où je me livrais sans barrière, quelque chose me submergea, ce je-ne-sais-quoi qui vous prend aux tripes, qui vous coupe la respiration, qui remplace vos entrailles par une flopée de papillons, et qui vous enivre sans une goutte d'alcool. Un humain normalement constitué aurait sauté de joie : cette légèreté, cette allégresse, cette euphorie, tous ces augures de bons présages, d'un long et durable amour, sont – encore une fois, pour la moyenne des gens sur cette terre – une excellente nouvelle. Mais pas pour moi. Non. Je devais éteindre, ou du moins, contenir le plus possible cet incendie, avant qu'il me consume de loin en loin.
Alors, par un réflexe de défense, j'avais tout coupé.
— Mais encore une fois, dis-je très franchement. Toi et moi, c'est très compliqué, trop compliqué, peut-être ? Je n'ai pas envie, non plus, de te blesser. Je tiens trop à toi, puis, ça ne me ressemble pas ! Alors, à quoi t'en tenir ? et bien, on peut continuer notre relation d'amante, comme elle est là, sans trop se préoccuper sur la longueur. J'aime les moments qu'on passe ensemble, j'aime coucher avec toi et, surtout, je t'ai- t'apprécie énormément. Et je crois que c'est ce qui compte, finalement.
— Donc, seulement sex freind ? conclut-elle, sans trop d'émotion.
— Jusqu'à la fin de l'été, qu'est-ce que tu en dis ?
Elle réfléchit, profondément. Zooey me regardait sans vraiment me voir, semblait être plongée dans les abysses de sa réflexion ; elle avait la respiration calme. Il était clair qu'elle n'était plus aussi anxieuse qu'au début de cette conversation. Elle avait des yeux vides, trop occupée à traiter tout ce que je venais de lui avouer ; et moi, contenant tant bien que mal tout ce qui grouillait dans mon ventre, luttant contre mes émotions, je les tuai à coup de déni, je les enfonçai bien loin, assez loin pour qu'elles ne remontassent jamais. Ce n'était pas le moment de ressentir ces niaiseries.
— D'accord, finit-elle par dire, avec un franc sourire teinté d'une certaine tristesse.
Un vide relatif avait soudainement remplacé tout le tumulte émotionnel qui tourbillonnait dans mon for intérieur ; tout était revenu sous contrôle. Je soufflai enfin :
— Puis ça va être génial, j'en suis sûre. Je veux dire, maintenant que tout est clair, il n'y a plus aucune inquiétude !
— C'est vrai, affirma Zooey avec une moue approbatrice.
Elle prit une courte inspiration, puis, avec un rire coincé :
— Si on repart sur une base saine, je dois être tout à fait honnête avec toi !
— Oui ?
— En réalité, je ne vois personne d'autre à part toi, je ne sais pas pourquoi je t'ai menti sur ça, et je sais, c'est con... désolée.
— Oh... c'est pas grave, dis-je sans trop savoir quoi ajouter. Et bien... pour ma part, il n'y a que "Ju", la fameuse personne.
J'avais décelé cette jalousie dont elle parlait, même si Zooey essayait de la contenir ; alors, très vite, je continuai :
— Mais pour être tout à fait honnête aussi, en ce moment, c'est au point mort entre elle et moi. C'est... juste une amie, et honnêtement encore, elle a été plus que ça, et, probablement que dans un futur plus ou moins proche, il n'est pas impossible que...
— J'ai compris, me dit-elle avec un petit sourire. Tu n'as pas besoin de te justifier, on est juste sex friend.
Zooey se leva et s'étira. Et sans transition, elle me regarda droit dans les yeux :
— Ça te dit de... monter dans ta chambre ?
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Toi, Moi, La fin des temps. (GxG)
RomancePar un concours de circonstance malencontreux, Leah doit passer ses vacances d'été dans sa ville natale. Loin de l'agitation de la capitale, elle va séjourner, seule, dans la grande maison de sa mère. D'abord bougonne, pestant contre tout le monde...