Dans ce mutisme partagé, cette union des sentiments, Zooey et moi, nous nous comprenions ; elle me tenait les mains, très doucement, presque du bout des doigts, sans avoir peur de les perdre, de les lâcher par mégarde. J'étais poussée par le même amour qui débordait de ses yeux, celui-là même qui s'écoule – durant la prime jeunesse d'une relation passionnée, que l'on espère alors, sans raison, brûler du même intensité absolue pour l'éternité – et qui prend sa source profondément, au cœur de notre âme et de notre chair, pour ces êtres que l'on aime sans compter, de ce sentiment intarissable qui anime la vie.
Elle me souriait, aussi, très sûre et certaine, sans aucune once de peur, et respirait pleinement ; Zooey se laissait, sans réfléchir, ballotter par cet instant ; elle naviguait aux grès des sentiments, totalement docile à ce songe éveillé, plongeant dans une sorte de torpeur consciente, submergée d'un bonheur qui sature le cerveau, qui occulte le bon sens ; j'étais, très certainement, dans le même bateau qu'elle, à peu de chose près. Du reste, contrairement à elle, je gardais une certaine conscience, et, très vite, des questions sur un futur incertain vinrent noircir ce tableau idyllique ; tout cela était, avec un certain recul, déraisonné.
Mais Zooey, elle, déjà emportée loin dans la valse entêtante de tout ce qui fait battre les cœurs, m'avait, sans crier gare – mais sans surprise –, saisi la tête entre ses mains ; douce, chaleureuse, rassurante, s'élevant sur la pointe de ses pieds, pour atteindre mes lèvres, elle m'embrassa ; une fois ; deux fois ; trois fois. Puis, comme à bout de souffle, après un effort qui lui aurait épuisé toutes ses forces vitales, elle me glissa ces trois mots, ces trois petits mots, mais si lourd de sens :
— Je t'aime.
Et, dans la même lancée, dans la même voix murmurée du bout des lèvres, toujours collées aux miennes :
— Tu ne peux pas savoir à quel point je t'aime. Moi-même, je ne me l'explique pas, mais je le sais, c'est là, au fond de moi. Je t'aime, voilà tout, aussi simple et compliqué que ça l'est.
Pour une raison que j'ignorais, des grosses larmes – de joie, de tristesse ? peut-être des deux ? je ne le savais pas – s'étaient bousculées aux bords de mes yeux ; et je fis oui de la tête, comme pour lui donner une réponse miroir à sa déclaration ; et c'était à mon tour de l'embrasser, sans transition. Nous étions restées ainsi, unies, pendant un instant infiniment long, exprimant notre amour mutuel dans ce contact des corps, dans ces mains qui glissent, qui touchent, dans ses lèvres qui s'embrassent, dans cette étreinte d'une douceur vigoureuse qui, par ses excès épars et douloureux, fait du bien.
On s'était assise, à même le sol, face à la ville qui dormait déjà, dans un silence souverain ; puis, Zooey me dit, posant sa tête sur mon épaule :
— Je ne sais pas si tu t'en souviens, moi en tout cas si, mais avant que tu partes, on s'était fait une promesse... tu t'en rappelles, de cette promesse ?
— Oui, je m'en rappelle, dis-je d'une faible voix.
Puis, après une courte inspiration, je continuai :
— En réalité, j'avais oublié, enfin, pas vraiment oublié. Je crois que d'une manière ou d'une autre, ça a toujours été en moi, cette promesse, mais le temps à fait que... bah que ça s'est un peu oublié, que je l'ai un peu oublié. Alors, consciemment ou non, je ne sais pas. Mais oui, je m'en souviens, parfaitement.
Elle me glissa un baiser au creux de mon coup, et comme ce fameux jour, elle me dit :
— Toi, moi... et-
— La fin des temps, concluai-je.
Elle s'était blottie contre moi, m'avait pris le bras, me serra de toutes ses forces ; on était restées, je ne savais combien de temps, sous ce ciel étoilé, à ne rien dire, toutes les deux dans ce silence empreint de nostalgie et d'incertitude ; je voulais, autant que ça m'effrayait, me lancer dans cette aventure avec elle ; la confusion et la dualité se bousculaient aux portiques de ma raison, tout me poussait à renoncer, ou du moins à continuer cette histoire sans plus d'engagement qu'elle ne demandait ; mais dans une même force, plus forte peut-être même, je voulais me donner entièrement, sans conviction ; et alors, ce que je voulais faire au début, avec une certitude de fer, se trouvait ébranlé par tous ces questionnements parasites où germe le doute.
Tout ça, finalement, n'était que l'écho de mes peurs, et la seule solution, la plus simple – peut-être – restait d'en parler franchement et sans filtre ; après tout, j'avais confiance en elle et à son intelligence émotionnelle. On était toutes les deux des adultes et moi, si certaine au début, je broyais maintenant du noir, rattrapée par mes démons. Alors, je m'étais tournée vers elle, puis, dans un demi-rire :
— Tu vas me trouver stupide...
— Pourquoi ?
— En fait, cette soirée, c'était un peu pour te faire ma déclaration...
— Ta déclaration ?
— Oui, comme quoi je t'aimais, tout ça, tout ça quoi...
— On a besoin d'une déclaration pour faire ça ? me demanda-t-elle en riant.
— Non, mais tu vois ce que je veux dire ! me défendis-je, un peu rouge de gêne.
— Non, je ne vois pas ! continua-t-elle de plus belle, toujours en riant.
— Dans le sens où je voulais te dire que je t'aime ! et que j'ai envie de... de... enfin voilà quoi !
— « Voilà quoi, » quoi ?
— Rah ! Je voulais te demander si tu voulais sortir avec moi ! finis-je par cracher, un peu honteuse de mon incapacité à sortir mes pensées. Et te dire à quel point je t'aime !
— C'est mim's, finit-elle par me dire, après un trop long silence, me semblait-il.
— Je suis vraiment nulle pour ce genre de chose, marmonnai-je.
— Hé, dit Zooey en m'embrassant la joue. C'est pas grave ! Moi aussi je t'aime.
Et après une autre pause, elle continua :
— Et tu sais quoi ?
— Non ?
— Oui, je veux, sortir avec toi ! répondit-elle tout sourire.
Elle m'embrassa de nouveau la joue ; et, se tournant vers moi :
— C'est ça que je pouvais trouver stupide ?
— Non, non...
— Oui ?
— C'est que j'ai peur, en fait...
— Comment ça ?
— Zooey... il faut voir la vérité en face, toi et moi, même si c'est très bien... c'est...
— C'est compliqué, je sais.
Elle l'avait dit d'une certitude si solide que mon train de pensées chaotiques s'arrêta net, comme se heurtant à un mur que rien ne pouvait atteindre. Elle qui, d'ordinaire, s'abandonnait aux doutes et aux questionnements, elle qui semblait bien plus perdue que moi dans ce grand vide qu'est la vie, elle, elle défiait avec un conviction complète toutes les inconstances qui me travaillaient de l'intérieur. Je vis dans ses yeux qu'il y avait, en elle aussi, tout ce que moi je redoutais : le futur, l'incertitude, l'indécision, l'instabilité évidente de notre relation. Mais elle, d'une force naïve, candide et têtue, y croyait contre raisons et clairvoyance.
Et d'une voix que je ne connaissais pas d'elle, calme et posée, elle me dit :
— Je sais, Leah. Je sais que c'est compliqué entre toi et moi. Je sais que rien ne nous lie vraiment, à part notre enfance, et je sais, c'est un fait, que toi et moi, on ne se ressemble plus trop, c'est comme ça, c'est la vie. Je l'ai accepté. Mais ce que je sais aussi, c'est que malgré tout ça, et bien, je t'aime. Ça aussi, c'est un fait. Alors, comment, pourquoi ? comme toi, je ne le sais pas. Et je crois que ce n'est pas ce qui importe. Moi, ce que je veux là, c'est vivre à fond ce qu'il y a entre nous deux, et ce qui devra arriver arrivera, et on ne pourra rien y faire ; alors autant en profiter. Puis, quoi qu'il arrive, j'ai comme le pressentiment qu'on s'en sortira toutes les deux, ensemble.
Elle avait la raison de la folie, celle d'abandonner toute logique et d'embrasser toutes choses qui arrivent, comme elles arrivent. La folie a du bon, quand elle est sagement appliquée.
— J'ai longtemps lutté, continua-t-elle, contre ce que la vie m'imposait. Mais ton retour m'a ouvert les yeux. Ça ne sert à rien de lutter contre ce qu'on ne peut pas contrôler : le passé, le temps, les autres, les sentiments-
Je l'embrassai, au beau milieu de sa phrase, convaincue par ses paroles ; moi aussi, je voulais maintenant profiter, et laisser le futur au futur.
— Viens, on rentre, lui glissai-je à l'oreille, très-heureuse.
Zooey me répondit oui de la tête.
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Toi, Moi, La fin des temps. (GxG)
RomansaPar un concours de circonstance malencontreux, Leah doit passer ses vacances d'été dans sa ville natale. Loin de l'agitation de la capitale, elle va séjourner, seule, dans la grande maison de sa mère. D'abord bougonne, pestant contre tout le monde...