Chapitre 21

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On s'était retrouvé à l'arrière du bistrot, entre deux grosses poubelles et l'arrière porte de l'enseigne ; Greg s'y tenait, debout, accoudé au cadre, dans cette nonchalance naturelle qu'il avait dans son expression, dans sa posture. Il portait un tablier taché de gras, d'autres restes de cuisine et d'huile de friture. Et je me souvenais alors qu'il m'avait dit qu'il lui arrivait de devoir se cantonner aux fourneaux, quand il n'était pas au service, le peu d'employé l'exigeait ; en somme, il était pour ainsi dire, au four et au moulin. Malgré sa charge de travail, il restait fidèle à son flegme de laisser-vivre, de laisser-aller. Un discret sourire au visage, il me regardait, et me dit, de but en blanc, sans même me saluer, ni attendre que je descende de mon vélo :

— Alors, si tu veux reconquérir le coeur de Zooey-

— Pardon ?! lui coupai-je la parole en fonçant dans les poubelles.

— Pas la peine de t'excuser, ajouta-t-il. Elles ne te répondront pas !

Un peu sonnée, un pied à terre, l'autre encore sur une pédale, je me tournai vers lui, et lui dit :

— De quoi ?

— Les poubelles, elles ne te répondront pas, tu t'es excusée pour rien !

J'avais lâché un petit rire réflexe, et Greg continua :

— C'est une blague, Leah. Je rigole.

— Je... Je sais, c'est juste que... j'étais pas prête...

— Du coup, explique-moi pourquoi tu veux lui faire à manger !

Je descendis de mon vélo, époussetai mes vêtements par réflexe et pris une grande inspiration, chose que j'avais regrettée dans l'immédiat ; étant trop proche des poubelles et de leurs odeurs désagréables, voire nauséabondes, j'avais inhalé une grande quantité d'air viciée. Et après avoir camouflé mon envie de vomir – une fois encore, à croire que j'aimais ça, de vomir en présence de quelqu'un de leur famille – par une quinte de fausses toux, je lui dis :

— Ça a mal fini...

— Mal, c'est-à-dire ? demanda-t-il, très concerné.

Après un long souffle, je lui expliquai tout le déroulement de la soirée, sans trop rentrer dans les détails ; je me voyais mal lui raconter comment sa sœur et moi, nous nous étions pelotées la veille. Pour autant, je me perdais dans des explications à rallonges, à donner des détails qui n'en valaient pas la peine, tout ça, dans le but ultime et inconscient d'éloigner le plus longtemps possible l'accident de la cuvette. Mais ce qui devait arriver arriva, fatalement. Et prenant mon courage à deux mains, je lui avais raconté comment j'avais terminé la soirée à régurgiter le reste d'alcool mal assimilé que j'avais dans l'estomac. Il retint un rire, l'air de dire « j'ai envie de raconter ça sur scène » et il y avait de quoi, je ne pouvais pas lui en vouloir. Enfin, après ce qui me semblait être une éternité de réflexion, il me dit :

— Je te rassure, elle a passé la nuit avec toi, ce n'est pas un petit vomito qui fait que c'est mort !

— Mais quand même ! m'écriai-je. J'ai un peu honte... Tu es sûr qu'elle s'en fiche ?

— Tu sais, elle est comme toi et moi, ma sœur.

— C'est-à-dire ?

— Elle aussi, quand elle boit trop, elle vomit. C'est pas la fin du monde !

— Je veux quand même me rattraper, je me sens un peu mal, surtout qu'elle a dû passer la nuit, je suppose, à s'occuper de moi !

— Et c'est pour ça, enchaîna-t-il, que tu veux lui faire à manger !

Toi, Moi, La fin des temps. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant