Chapitre 40

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Judy s'était assise en tailleur, à côté de moi, avec une serviette sur ses épaules, pour cacher sa nudité. Elle se tenait droite comme un i, essayait de paraître la plus irréprochable possible. J'ai dû lui expliquer la situation et à quel point ce qui venait de se passer était plus que catastrophique ; en réalité, j'étais – en quelque sorte – la première des fautives. Je l'avais laissé sans nouvelle de moi, Judy, depuis des jours, dans le seul et unique but de profiter de mon idylle avec Zooey.

Tout naturellement, elle ne pouvait donc pas du tout se douter, ne serait-ce qu'un seul instant, que j'étais dans un début de relation exclusive, certes qui avait beaucoup d'incertitude, mais tout autant de sincérité. La seule chose qui m'intriguait à son sujet, à ce moment-là, et qui arrivait par un miracle assez curieux à me faire oublier le temps d'un instant la fuite de Zooey, était son taux d'alcoolémie à une heure si matinale :

— Pourquoi ? lui demandai-je donc.

— Pourquoi... quoi ? répéta-t-elle.

— Pourquoi t'es bourrée ?!

— Je ne suis pas bourrée ! répondit-elle en fronçant les sourcils. Juste un peu... seulement. Et toi, pourquoi ?!

— Comment ça, moi « pourquoi ? » répliquai-je, indignée. Pourquoi je ne suis pas bourrée ?!

— Pourquoi tu ne lui cours pas après ?! s'écria-t-elle, les yeux écarquillés et éclaboussant de sincérité naïve, en montrant la porte avec sa main.

Puis, après un court silence, sur le même ton :

— Si elle est si importante pour toi !

Elle se leva d'un bond, laissant la serviette tomber au sol, puis me prit les deux bras et me leva d'un coup sec :

— Allez, ma loulou ! Il est l'heure pour toi de faire comme dans les plus grands films de comédie romantique !

Mais ma jambe droite chancela, une vive douleur m'avait traversé le corps des pieds à la tête, comme un courant électrique qui pince et qui brûle chacun de mes nerfs ; et dans un grand fracas, on tomba, de nouveau, toutes les deux. Mais cette fois-ci, c'était moi qui me trouvais sur Judy. Je m'étais vautrée lamentablement sur elle, de loin en loin, dans une chute si lamentable qu'on aurait eu notre première place, et de loin, sur le podium des bras cassés ou dans ces vidéos qui compilent toutes les chutes ridicules que les gens ont le temps de prendre sur le fait – à défaut d'appeler les secours ; comme si l'accident était prémédité.

— Ça va ? me demanda-t-elle, comme si de rien n'était.

— Non, répondis-je les dents serrées et avec une grimace.

— Ah oui ! me dit-elle. Je vois ça !

— Quoi ?

— Les chevilles...

— Comment ça, les chevilles ?! lui demandai-je un peu déboussolée.

— Bah regarde la mienne !

— Bah quoi la tienne ?! dis-je en me relevant à moitié.

— Et regarde la tienne ! C'est pas une taille normale ça... c'est pas non plus une couleur normale, d'ailleurs... aussi rouge... comme ça !

Ma vision se troubla, ma tête tourna. D'aussi loin que je me souvienne, je ne m'étais jamais vraiment gravement blessée. Mais force est de constater que dans la vie, il y a toujours une première fois à tout ; et comme ça n'arrive qu'à moi seulement – je dois sûrement posséder ce don unique –, je choisis systématiquement le mauvais moment pour la faire, cette première fois.

— Tu t'es salement tordu la cheville, loulou, affirma-t-elle.

Sans blague, Sherlock.

— Il faut t'amener à l'hôpital ! continua Judy d'un air trop sérieux.

Toi, Moi, La fin des temps. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant