Dans leur rivalité enfantine : « le dernier sur son vélo a perdu, » s'était vite transformé en « le dernier arrivé a perdu, » s'en était suivi, sans grande surprise, une compétition de vitesse, pour mon plus grand malheur.
On s'était arrêtés, après cette course où ces deux-là m'avaient battue à plate couture, au Market Pocket ; les résultats de Zooey étaient pas mal débattus d'ailleurs, elle et lui étant arrivés en même temps, au péril de leur vie ; un accord avait donc été proposé par les deux parties pour proposer une revanche, un jour, où le gagnant devait payer un kébab au perdant.
Et moi, bonne dernière, impressionnée par leurs exploits, j'arrivai au moment où Greg avait proposé l'idée de faire une sorte de pique-nique, un « apéritif dînatoire champêtre » l'avait-il nommé, plus précisément. Et, avec un simili accent bourgeois français du dix-septième siècle, il nous énonça un menu farfelu, à base de chips, de sandwich triangle et autres friandises ; on avait, en somme, pour ordre de bataille de ne prendre que des snacks qui nous plaisaient, parce qu'après tout, on était en vacances et à quoi bon se restreindre quand on pouvait allègrement se faire plaisir.
— Puis, ajouta Greg, faussement sérieux, on va pas mal pédaler aujourd'hui ! donc, il nous faudra des ressources !
Et par la force de la mémoire musculaire – très nostalgique, celle-là – on flâna, Zooey et moi, dans le rayon des confiseries, entre les chocolats et les bonbons bourrés de sucres, de colorants et de produits chimiques ; tout une odeur d'enfance, d'insouciance, de sensibilité et de fragilité sucrée nous avait embaumées de loin en loin. Nous traversâmes les sillons des parfums entêtant de cacao, de vanille et de fraise, distraites par les emballages colorés, progressant languissamment dans cette torpeur moelleuse où l'on replongeait dans l'âge tendre et candide, sans s'en rendre compte.
Dans mes souvenirs, ce rayon n'en finissait pas, et à travers mes yeux d'enfant, il mesurait des kilomètres et des kilomètres ; mais force est de constater que non. Nous arrivâmes très vite au bout, sans avoir pris quoi que ce soit, pointant du doigt, simplement, parfois, quelques articles, chers aux anciens nous, ces enfants trop vite lâchées dans la nature, livrées à elles-mêmes et qui dépensaient des mille et des cents sans compter ; des sucreries gélatineuses, surtout, que l'on se partageait, toutes les deux, dans un coin reclus du préau de l'école, à l'abri des envies et regards des autres, dans cet égoïsme de deux âmes qui se partagent tout, jalousement.
— Tu te souviens de ceux-là ? me demanda-t-elle en montrant un paquet à l'effigie de petits êtres bleus d'une célèbre bande dessinée belge.
— Erk, avais-je rétorqué, un peu dégoûtée.
— Boh, ça va !
— Oui, ça va, un ou deux, mais pas plus ! après ça devient vite écoeurant.
— Mais c'est drôle, ta langue est toute bleue après ! répondit-elle en tirant la sienne.
La sienne que j'avais embrassée alors, subrepticement ; et ce baiser volé, elle me le rendit, très-amusée. Jusqu'au moment où l'on bouscula Greg, à force de papillonner, au détour d'un rayon, sans l'avoir vu arriver. Ce dernier, évidemment, avait les bras remplis à ras bord d'une multitude de paquets de chips, de toutes les couleurs et de tous les goûts ; et de ce fait, il ne voyait pas très bien, lui non plus, où il mettait les pieds ; l'accident devait, fatalement, arriver.
Les fesses au sol, quelques paquets de chips tombés, il nous regarda, déboussolé et désolé, puis, voyant que l'on avait les mains vides encore, il nous dit, très-sarcastique et surtout d'une taquinerie bienveillante, comme il savait si bien le faire :
— Vous n'êtes pas tombées, les filles, trop fortes, j'aurais pu vous applaudir, mais mes mains sont prises !
Nous l'aidâmes à se relever, amusées par la situation burlesque, lui signifiâmes que c'était de sa faute, et que, s'il ne voulait pas rentrer dans tout le monde qu'il croisât, il lui aurait fallu prendre moins d'articles et un caddie. Du reste, pour finir ces courses qui, justement, n'en finissaient pas, on s'était décidées, Zooey et moi – étant prises d'une hésitation absolue sur nos casse-croûtes respectifs –, de choisir pour l'autre ce qui lui ferait plaisir ; et la force des choses, des goûts commun, on avait eu la même idée : un assortiment de plats asiatiques, présenté dans une jolie boîte noir et rouge, style bento japonais.
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Toi, Moi, La fin des temps. (GxG)
RomancePar un concours de circonstance malencontreux, Leah doit passer ses vacances d'été dans sa ville natale. Loin de l'agitation de la capitale, elle va séjourner, seule, dans la grande maison de sa mère. D'abord bougonne, pestant contre tout le monde...