Chapitre 15

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L'on s'était endormie à l'unisson, après une trop longue discussion pseudo-philosophique sur l'origine et la fin de l'univers, s'il y avait un but quelconque à toute cette machinerie céleste, si quelque part, peut-être, existait il d'autres mondes que le nôtre, et si c'était le cas, est-ce que les peuples de ces derniers se posaient les mêmes questions que nous.

En réalité, on parlait surtout pour ne rien dire, pour reposer le sommeil, parce qu'on était trop bien ensemble, parce qu'on voulait profiter de la moindre seconde. Mais comme toutes les bonnes choses ont une fin, et que la fatigue gagne toujours, Morphée avait fini par nous border ; et, main dans la main, on s'était endormi.

Le réveil, aussi tendre que la chaleur naissante de la journée, se fit en douceur ; Zooey, dans ses mouvements nocturnes inconscients, s'était blottie contre mon épaule. Moi, encore allongée sur le dos, m'étais étonnée de la voir dans cette position. Je sentais sa peau contre la mienne, et son souffle contre ma gorge, toute cette passion somnolente qui me caressait l'épiderme à chacune de ses respirations. Et il traînait dans ses cheveux, mêlé à son odeur à elle, ce parfum typique de chlore, résidu de notre petit bain à bulles. L'envie de la serrer dans mes bras brûlait les miens, et probablement, qu'elle était réveillée elle aussi, parce que, sans sourciller, elle me chuchota d'une petite voix matinale :

— Je suis bien là... pas toi ?

— Très bien, répliquai-je sur le même ton.

Et elle me regarda pleinement, sans gêne, souriante même, bisa mon épaule nue et se dégagea de mes bras. Cette étreinte éphémère était l'un des réveils les plus agréable que j'eus connus de toute ma courte existence ; et d'une certaine manière, ce câlin — chaste et mignon — n'avait pas évolué en un rapprochement plus osé. Étrangement, ce début lent, qui ne ressemblait pas à mes habitudes, où l'on aurait déjà visité maintes fois l'intimité de chacune, ne me déplaisait guère.

Zooey, alors assise en tailleur, me demanda d'une voix soudainement mal réveillée :

— On va petit-déjeuner ?

Puis, après s'être raclé la gorge, le sourire aux lèvres :

— Je crois que j'ai besoin d'un bon café !

On s'était installées dans le salon, devant nos tasses respectives, après s'être changées de tenue ; on ne pouvait, sans raison valable, et même si l'envie ne me manquait pas, vivre éternellement en maillot de bain. Zooey ne devait pas trop traîner, parce qu'elle avait du boulot, m'avait elle dit, et la matinée était déjà assez entamée comme ça.

— Si mon père découvre que j'ai fait une grasse matinée... souffla-t-elle dans sa tasse vide.

— Il va faire quoi ?

— Je ne sais pas, pas grand-chose, je pense, répondit-elle avec le regard dans le vide, que que lui et  moi savions très bien que ce n'est pas du tout ce que je voudrais faire, comme métier...

Je n'avais pas de remarque à ajouter. Je ne savais même pas s'il le fallait, à vrai dire ; et je me rendis compte, surtout, d'à quel point nos vies n'avaient nullement les mêmes tracas. Ce quotidien qu'elle menait, où chaque jour était une lutte sourde, d'une douleur que l'on ne ressent plus, contre le monde entier, contre son destin, faute d'argent, je ne l'avais jamais vécu ; la réalité m'avait frappé au visage d'une violence soudaine, Zooey allait partir se ruiner la santé, pour gagner une poignée de billets, pendant que moi, grande privilégiée, allait remplir ma journée d'ennui, dans une maison où chaque pièce transpirait la richesse.

Une soudaine mission m'avait alors envahie de loin en loin, comme ces idées qui germent d'un coup d'un seul, sous le bon désir fantasque de notre subconscient ; résolution d'un problème qui n'existait pas, invention ex nihilo qui n'avait sûrement pour but que l'autosatisfaction d'avoir accomplie une bonne action ; il fallait, à mon échelle, que j'aide Zooey, du mieux que je pouvais. Était ce là l'expression de mes remords inavoués ? ceux d'avoir entraîné mon amie d'enfance dans tout ce luxe sans jamais lui en offrir plus ? ceux d'avoir disparu du jour au lendemain, sans plus jamais donner le moindre signe de vie ? peut-être bien.

Toi, Moi, La fin des temps. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant