Chapitre 32

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Il y avait ce soir-là du beau temps, un très joli ciel, à vrai dire. Quelques franges de nuages seulement – embrasées par les derniers teintes flamboyantes des rayons de soleil –, timides et éparses, perdues au-dessus de l'horizon ; l'horizon qui tirait vers une couleur chaude, orange, au bleu sombre d'une nuit fraîche d'été. Des avions, çà et là, premier ersatz d'astre, clignotant faiblement à intervalle régulier, tiraient des longs traits grisâtres, évanescents, coupaient ce parfait tableau de leur coup de pinceau blanc, d'une droiture rigoureuse. Et, le vent se levait, soufflait doucement la chaleur qui retombait d'une lenteur languissante.

Tout ça était l'augure d'une bonne soirée !

— Donc, me dit Zooey, tu ne veux pas me dire où l'on va ?

Je lui répondis non de la tête, en pinçant les lèvres, retenant un sourire malicieux.

Elle était en train de sortir un vélo de son garage, celui qui appartenait à son frère, de ce qu'elle m'avait dit. J'avais trouvé, après une longue recherche, un bar qui me semblait tout à fait idéal pour ce que je m'apprêtais à faire. En réalité, il y en avait pas des masses, non plus, de bar ; c'était plus un choix par dépit, qu'autre chose. Il était pas mal noté, n'était pas un bar PMU, et, à vélo, on pouvait s'y rendre en moins d'une vingtaine de minutes.

Moi, j'étais déjà sur le mien, de vélo, à l'attendre impatiemment. Je trépignais, sautais presque sur place. Elle s'était vêtue d'une trop grande chemise à manches longues, blanche et translucide, portait en dessous un simple débardeur, lâche, qui laissait respirer toute sa chair, aussi timide était-elle. Je me sentais, à la fois, coupable et émoustillée, de la détailler ainsi, mais ces derniers temps, j'éprouvais pour Zooey une attirance maladive ; autant pour sa personne que son corps. Et dans cette dualité confusante, je me laissais, plus que d'habitude, dans les travers peu moraux d'objectiver les corps.

Mais merde ! quel corps ! c'était comme si chaque tenue qu'elle choisissait, par une magie que je ne pouvais expliquer, sublimait ses atouts ; et toujours dans ce mélange subtil de provocation candide ; je pouvais, sans difficulté aucune, deviner les traits de sa vulve dans ce short trop serré, trop court, montrant sans pudeur la rondeur assumée de ses petites fesses.

— Je peux essayer de deviner ? me coupa-t-elle dans mes rêveries lascives.

— Tu peux, dis-je, les joues rouges, contenant tant bien que mal tout ce qui bouillonnait en moi. Mais, si tu le devines, tu risques de te gâcher la surprise.

— La surprise ? répéta-t-elle, étonnée.

— Bah oui !

— C'est... se lança-t-elle, hésitante, c'est un parc ?!

— Nope !

— Un restau ?

Je m'étais lancée dans un jeu de cabotin, mimais très mal la surprise, et d'une tête qui disait oui, je lui répondis :

— Nope.

— Un bar ?

Et moi, faisant mine de réfléchir :

— Nope...

— Je te déteste, rétorqua-t-elle faussement fâchée, pleinement souriante.

— Moi aussi, lui dis-je sur le même ton.

— Un ciné ?

— Presque...

— Presque ?! s'étonna-t-elle.

— Nope !

— Tu ne veux pas me dire ce que c'est, en fait ? conclut-elle, une fois sur son vélo.

Et, dans un très grand sourire, dodelinant doucement de la tête, très niaise de mon jeu d'enfant, je lui répondis :

— Nope !

Elle me fit une moue intriguée, étrange, puis, dans un soupçon de méfiance, fronça des sourcils. Elle se tourna alors vers sa maison ; essayant, peut-être, de voir à travers les fenêtres si Greg n'était pas là. Elle se disait sûrement que ce plan-là, tout ce mystère, ne pouvait être qu'une de ces idées farfelues et fulgurantes de son frère. J'étais assez fière de moi sur ce coup, qu'elle pensât à son frère, alors que tout venait de mon génie espiègle ; mais peut-être bien que je m'étais inspirée de lui, inconsciemment.

Une fois toutes les deux prêtes, nous enfourchâmes nos vélos respectifs, et partîmes pour ce court périple. Les cheveux aux vents, le ville pour nous deux seulement, on se laissait glisser sur cette route déserte, côte à côte ; et l'on se souriait parfois, dans ces regards muets, plein de sens pourtant. L'on zigzaguait et jouait de nos sonnettes, retournait en enfance quand rien n'avait d'importance encore ; c'était très agréable comme moment, d'une qualité rare. Et je le savais, quelle que soit la finalité de cette histoire, ce moment-là, quoi qu'il arrivât, ce moment-là, resterait à jamais dans ma mémoire ; il allait se joindre à tous mes souvenirs mélancoliques, de ceux que je chéris et que je vis en boucle dans mes moments difficiles.

Zooey s'était améliorée dans le pilotage de son bicycle, grandement ; il faut dire aussi que la dernière fois que je l'ai vu monter sur ça, c'était à cette époque où l'on s'écorchait encore les genoux à force de tomber, se relevant toujours, qu'importait l'étendue des blessures. Je me souvins de tous ces joggings déchirés, tachés de sang, de poussière, de crasse et de boue, comme les trophées des longues journées d'apprentissage, au risque de se faire engueuler par nos parents. Cette fois-ci, elle me dépassait sans hésiter, sans aucune once de peur, lâchant même, parfois, son guidon pour croiser ses bras, me souriant d'un air de tranquillité souveraine.

On filait, heureuse, et amusée par cette simple balade, comme si l'on roulait sans but précis, dans cet instant suspendu, sous ce ciel qui s'étiolait sans qu'on le remarquât. Tantôt, elle passait devant moi, tantôt, je prenais la tête, mais le plus souvent, on était l'une à côté de l'autre. On parlait peu, cet instant se suffisait à lui-même.

Puis, quand la curiosité inassouvie de Zooey avait fini par refaire surface, elle me demanda :

— Mais où est-ce que tu m'emmènes ?

— Patience, patience, ma très chère ! On est bientôt arrivées !

Et c'était la vérité ! On arrivait dans une petite section de la ville, loin du centre, qui lui était déjà petit ; mais pas aussi loin que le Wine not, tout de même. Le décor avait radicalement changé : des magasins fermés, des terrasses vides, des restaurants à peine remplis ; on aurait pu croire, avec un peu d'imagination et d'angoisse, à une fin du monde ; tout était désert, paraissait mort ; avais-je fait le mauvais choix ?! Une petite peur panique commença à me tordre les entrailles. Et Zooey, derrière moi, d'une voix hésitante, ne m'aidait pas :

— Euh... rassure-moi Leah, ce n'est pas là qu'on va s'arrêter, si ?

Elle avait insisté sur le « là, » comme si c'était d'une importance capitale.

— Euh... dis-je en m'arrêtant. En fait...

— Oh non... murmura-t-elle.

— Comment ça : « oh non » ?! rétorquai-je, les yeux écarquillés.

— Bah, c'est que c'est pas tip top...

J'avais dégluti.

Merde... ça commençait mal, finalement, cette histoire.

Toi, Moi, La fin des temps. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant