Sur le chemin, l'ambiance était quelque peu étrange, il flottait dans l'air cette gêne des sentiments, celle-là même qui naît quand le doute de la réciprocité flirte avec l'évidence de l'attirance mutuelle ; on ne sait jamais qui des deux prendra le dessus sur l'autre. Alors on marchait dans le silence, avec Greg entre nous deux. Et ce dernier parlait par moment, racontait à quel point il était pressé d'arriver chez son ami, et que, ça faisait une éternité qu'il n'était pas allé à une grosse soirée. Il était ravi, aussi, que sa sœur, timide d'ordinaire et peu friande de ce genre d'ambiance, eut accepté l'invitation.
— Tu vas voir, dit il très enthousiaste, ça va être cool !
Il la prit sous son bras, dans une étreinte vigoureuse et serra ses épaules. Puis, se tournant vers moi :
— C'est pas votre première soirée ensemble en plus ?!
— Si, si, murmurai-je avec un peu de gêne.
Enfin, après une bonne vingtaine de minutes à marcher sous un ciel étoilé d'été, nous arrivâmes devant la modeste maison de Francis. On entendait déjà de la musique, seulement les basses, et parfois quelques cris de joie ; l'avantage était que peu d'habitation bordait le lieu des festivités. On pouvait s'attendre alors à une soirée sans retenue, tant dans les décibels que l'alcool. Tout indiquait que ça allait être une bonne soirée, où l'on chante et où l'on boit.
On traversa une longue allée dans le jardin pour atteindre l'entrée. Et l'on voyait, posés sur le balcon, des jeunes gens, tout comme nous, en train de boire, de fumer et de parler. L'ambiance m'électrisa, et je me sentais déjà grisée par la perspective de cette petite fête improvisée. Je retrouvai là tout ce que j'avais laissé derrière moi en arrivant dans cette ville : du bon son, des inconnus alcoolisés, des rencontres, des folies d'une nuit et des histoires à raconter. J'avais presque un pas sautillant, trop heureuse pour me contenir. Alors, dans un élan de bonheur :
— Oh ! mais ça va être trop bien ! je le sens déjà ! m'écriai-je.
Une personne, que je ne connaissais pas, me salua, perchée en haut du balcon. Et je lui rendis son salut. Alors, je me tournai vers Zooey pour lui partager ma gaieté, mais c'était un malaise profond que je vis sur son visage ; et à peine ai-je eu le temps de le voir qu'elle se tourna vers moi, effaça tout sentiment de mal-être, et me sourit timidement en pinçant des lèvres. Elle battit des cils, puis regarda au loin, s'agrippant à son appareil photo – dans un réflexe inconscient – comme si c'était une bouée de sauvetage.
Et peut-être que Greg le remarqua aussi, puisqu'il s'arrêta, prit une moue faussement inquiète et nous regarda toutes les deux, devant lui, à un pas ou deux. Les deux poings fermés sur ses hanches, il nous dit alors, d'une voix amusante, au demeurant grave :
— Si on faisait une photo, là tout de suite, juste devant la maison comme ça ?
Sans laisser le temps à Zooey de répondre, il ajouta, en imitant un appareil photo avec ses deux mains ouvertes, les bras tendus vers nous :
— Le cadre et vraiment pas mal, en plus ! Et les lumières de la maison, là, stylées, non ?
Zooey se tourna, estima en un coup d'œil ce que son frère venait de lui dire. Alors, quelque chose s'illumina dans ses yeux, c'était comme si sa passion pour la photographie, les belles images, les beaux instants, avaient pris le dessus sur ce qui l'inquiétait profondément. Et sans même le regarder, elle enleva le cache de l'appareil, régla par réflexe, puis immortalisa la maison sur un fond de ciel nocturne. Et Greg, en rigolant :
— Non mais Zooey, prends Leah !
Elle se tourna vers moi, et la phrase équivoque que son frère eut prononcée fit monter un flot de sang dans mes épaules et mes joues. Heureusement qu'on était dans le noir, faiblement éclairé par les petites lampes de jardin qui jalonnaient l'allée, parce qu'à ce moment-là, il était fort à parier que j'étais rouge comme une écrevisse. Et elle recula d'un pas, me visa avec son appareil, puis, un flash plus tard, des pupilles en moins, et le tour était joué. Enfin, elle regarda le retour sur l'écran, et un sourire se dessina sur son visage :
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Toi, Moi, La fin des temps. (GxG)
RomancePar un concours de circonstance malencontreux, Leah doit passer ses vacances d'été dans sa ville natale. Loin de l'agitation de la capitale, elle va séjourner, seule, dans la grande maison de sa mère. D'abord bougonne, pestant contre tout le monde...