Prologue

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- Malia, c'est à toi dans cinq minutes dépêches-toi !



J'arrive, je ne peux pas être tranquille deux minutes à fumer une clope à ma pause sans que l'on vienne m'interpeller. Le besoin de nicotine se fait ressentir aujourd'hui. Je tire lattes après lattes espérant au fond de moi que mon mal être parte au fur et à mesure mais peine perdue.

Je sors mon téléphone de ma poche, et scrute la date sur mon fond d'écran où apparaît tendrement son visage. 17 juillet 2022, 00h10...


FLASH-BACK

Ça ne sert à rien, tu le sais autant que nous ! Il ne réagit plus Malia, il n'est plus là !

- Je t'interdis de me dire quoique ce soit quant à son état ! Tu n'es ni son médecin, ni son infirmière ! Tant qu'il est là, je garde espoir, on ne me l'enlèvera pas !

- Malia, ça fait neuf mois qu'il est dans le coma ! Les médecins m'ont encore dit tout à l'heure que c'était peine perdue qu'il se réveille ... Va falloir y penser tu le sais très bien ...

- Fermes-là je ne veux plus entendre aucun son de ta bouche ! Je ne laisserai pas mon frère mourir comme un pauvre homme dans un lit d'hôpital sous prétexte que sa propre famille n'est pas capable de croire en lui !

- Malia ...

- Stop ! Tais-toi j'ai dit je ne veux plus t'entendre !

FIN DU FLASH-BACK

Une larme coule longuement sur ma joue. Tous les ans, c'est le même refrain. Avec le temps, j'ai appris à vivre sans toi, mais je ne me fais tout simplement pas à l'idée que tu n'es plus là. Tu es omniprésent. A chaque pas que je fais tous les jours, à chaque bouffée d'air que j'expire ... Je te sens, ton parfum, ta présence... Tout me ramène à toi ... Je suis même allée jusqu'à t'encrer dans ma peau dans l'espoir que tu me réveilles un jour pour me hurler dessus, toi qui m'avait toujours dit qu'il n'y avait que les idiots pour se tatouer des prénoms sur la peau ... Et bien là voilà l'idiote ! C'est moi Jules ...


FLASH-BACK

Maman, je ne veux pas le laisser partir, je ne peux pas ...

- Ma fille ... on se doit de le laisser partir, il n'est déjà plus là tu le sais autant que moi ...

- Il a pas le droit de me laisser seule ...

La jeune brune de 17 ans s'approche tout doucement du lit où se trouve le patient qui paraît endormi depuis déjà quelques semaines .

Tu es beau mon Julio ...

- Malia ...

- Laisses-moi maman stp, juste quelques minutes ... J'ai besoin de ça si tu veux que je le laisse partir ...

- D'accord, je serais en bas. Prends tout ton temps ma chérie ..

La dame d'une cinquantaine d'année embrasse le front de la jeune fille délicatement, dans un geste qui se veut le plus rassurant possible. Au fond d'elle, les larmes restées au coin de ses yeux n'attendent que de tomber. Rien qu'à l'image de voir ses deux enfants séparés par ce fossé qui s'appelle la mort la foudroie sur place ...

Une fois sortie, la jeune fille de 17 ans attire la vieille chaise près du lit du jeune homme et commence à parler à voix haute.

Tu sais, je savais au fond de moi que tu allais me quitter. Mais je pensais que tu allais vouloir me quitter pour une fille, partir loin, à l'autre bout du monde ... Mais pas éternellement ! Pourquoi il a fallu que ce soit toi sérieusement?! C'était pas prévu comme ça ! T'es pas censé me quitter Julio ! T'es censé me protéger, veiller sur moi comme veillerait un grand frère sur sa petite sœur !

La jeune fille se met à renifler, et tout doucement les larmes coulent une à une.

Il a fallu que tu fasses ton entêté à vouloir te mettre dans l'auto comme papy ... Regardes où ça t'a mené ! Bordel que je t'en veux ! Je t'aime mais je t'en veux tellement Julio !!

Les larmes commençaient à ne plus s'arrêter et la jeune fille finit par prendre les mains du jeune homme qui se trouvaient en face d'elle. Elle voulait continuer son monologue, mais la température des mains de ce dernier la stoppa net. Froide, les mains de son frère étaient beaucoup plus froides que les siennes. Elle qui avait l'habitude devoir ces dernières trapues, voir limite gigantesques comparées aux siennes, retrouvait actuellement des mains assez fines et très pâles de couleur. Ceci l'interpella. Elle comprit. Il n'était plus là. Son enveloppe corporelle était là, mais son âme était déjà partie ...

Un haut de cœur la prit et elle se jeta sur le jeune homme.

Je suis désolé Jules ... On avait promis de ne jamais s'abandonner, de toujours se battre l'un pour l'autre ! Et regardes quelle piètre sœur je suis ! J'ose t'abandonner, aujourd'hui maintenant , sur ce vulgaire lit d'hôpital !

Cette dernière se rapprocha encore plus afin de caler sa tête sur l'épaule du jeune homme qui était quant à lui plus que relié à quelques fils dont notamment à une machine pour le cœur.

- Je vais te promettre une chose Julio, je vais me battre pour toi ! Que personne ne t'oublie ! Qu'ils sachent tous quel grand frère exceptionnel tu es ! Je voudrais te garder pour moi toute ma vie, et pourtant je sais qu'il va falloir que je te laisse ...

FIN DU FLASH-BACK

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C'est pas le moment de pleurer Malia, t'a une soirée à animer et ce n'est sûrement pas le moment de sortir les mouchoirs ... Je fermais les yeux le temps d'inspirer et de retrouver un souffle plus ou moins correct. Ce soir, j'inaugurais la fondation en l'honneur de mon frère : la fondation Jules Bianchi, pour soutenir les jeunes pilotes talentueux mais qui manquaient malheureusement de moyens pour arriver à monter les échelons du fameux sport qui m'avait enlevé mon cher frère. Je détestais ce sport, pas pour le fond, mais pour tout ce qu'il engendrait à côté ...

A quel âge dois-je trouver ça normal d'assister au décès « officiel » de mon frère sur un lit d'hôpital après 9 mois de coma ? La dernière réunion de famille que l'on a pu avoir en 7 ans, ça a été celle-ci ... Depuis ma famille a littéralement explosé ...

Ma mère n'a pas supporté le décès de mon frère, mon père s'est enfoncé dans le travail et moi, moi je me bats pour vivre, 'fin survivre. J'ai développé une haine incommensurable pour ce sport, et pourtant depuis 7 ans, je fais en sorte que l'accident qui a coûté la vie à mon frère ne se reproduise pas. Ma famille vit pour ce sport depuis des décennies, et pourtant, moi qui aurait pensé que le décès de mon frère allait faire éclater tout ce "loisir", au contraire ...

Me battre pour mettre en place cette fondation m'aide aussi à combattre mes angoisses perpétuelles. Mais ce soir, c'est compliqué ... Je crains de ne pas pouvoir être à la hauteur de ce défi que je me suis donné. Pour lui, pour moi, pour eux ...

J'ai déserté complètement la FIA et les paddocks depuis ce fameux 17 juillet 2015. Je reste dans l'ombre de la F1 de peur d'être complètement tétanisée à l'idée de revivre un accident avec une telle ampleur que le dernier dont j'ai pu être spectatrice .

Rien qu'à l'idée de repenser à cela, mes muscles se tendent ... Souffles un bon coup Malia, ce n'est que l'histoire de quelques minutes, le temps de faire sa pimbêche au sourire Colgate et basta !

Je souffle et rigole jaune, quelle ironie ! Je veux pouvoir aider d'autres jeunes à poursuivre leurs rêves dans ce sport, qu'ils vivent leur vie pleinement ! Alors que ce même sport a ôté la vie de mon frère de la façon la plus horrible ...

Mesdames et Messieurs, merci d'accueillir Malia Bianchi, représentante de la fondation Jules Bianchi !



 Allez Malia, c'est parti ! Quelques marches à monter et tu y es. C'est pour toi Jules !

Vivre et non survivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant