Chapitre 18 : Cinq craque

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C'est Klaus qui nous ouvre. Il nous dévisage longuement puis lâche : 

- En voyant vos joues rouges et vos cheveux décoiffés, je pourrais croire que vous venez de faire des choses. Mais comme c'est un peu pédophile vu que Cinq est censé avoir 60 ans, je vais plutôt imaginer que vous avez couru pour venir nous dire un truc hyper important. 

- Ouais, vaut mieux écarter la première hypothèse, fait Cinq en enlevant son manteau. 

- Alors ? Qu'est-ce qu'il se passe ? lance Lila. 

- Il vaut mieux vous assoir. 

* * *

- Quoi ? Juste pour quelques flocons ? Mais vous êtes devenus complètement paranos, bordel de merde ! s'écrie Diego une fois notre explication terminée.

- Je suis sûre que c'est ça, je proteste. Tout est parfaitement logique ! Le vieux schnock veut prendre possession de toutes les dimensions. Il a assez de matériaux, assez d'espace, assez de temps, assez de personnel pour l'aider à mener à bien son projet. Quand on créée plusieurs portails, ça cause des perturbations de la météo ou du champ magnétique. Ce qu'il a sûrement fait. J'ai réfléchi et ça ne peut pas être une coïncidence. Tout s'accorde.

- C'est vrai, ce qu'elle dit sur le champ magnétique, admet Lila. Les aimants sont tombés du frigo ce matin et, depuis, j'arrive plus à les remettre. 

- Ce sont juste des AIMANTS DE MERDE ! répond Cinq. 

C'est lui qui a lancé cette hypothèse sur les portails, et maintenant il la contredit ? Il a fumé, lui.

- Ma boussole de prédictions de marche plus non plus, ajoute Klaus. 

- Ta boussole de... ? Ah, et puis merde. Ce sont des conneries, des idées en l'air, tout ça, soupire Diego. 

Je sens que je vais le frapper. 

- Vous ne me faites pas confiance, c'est ça ? j'interroge en les regardant tour à tour. 

Diego qui est dans le déni total. Cinq le bipolaire. Lila qui commence à comprendre. Klaus qui s'en fout à moitié, Luther réfléchissant au sens de sa vie, Viktor muet, dépassé par les évènements. 

- Si tu dis vrai, commence lentement celui-ci en me regardant, alors... Ça veut dire quoi ? Qu'est-ce qu'il va se passer ? 

Je déglutis avec difficulté.

- Ca veut dire que Reginald va bientôt régner sur toutes les dimensions existantes et que, pour éviter ça, on est les seuls à peut-être pouvoir l'empêcher.

Il y a un grand silence gênant. 10 secondes. 20. 40. 1 minute entière. Cinq se lève et part dans une autre pièce en claquant la porte. Je me lève quelques secondes plus tard et y entre. 

C'est le bureau de Diego, assez petit, avec une table en bois contre laquelle Cinq est appuyé, et une bibliothèque. 

- Laisse-moi, Abby, fait-il d'une voix brisée. 

Je referme la porte derrière moi et m'approche de lui. 

- Tu pleures ? 

Il cligne prestement des yeux ce qui fait rouler une larme sur sa joue. 

- Pas du tout. 

- Cinq... 

- Pars. 

Seconde larme. 

C'est étrange et désagréable de le voir pleurer. De voir une nouvelle facette de lui. Comme quoi on a tous des faiblesses. Mais pourquoi maintenant

- C'est à cause de cette histoire, c'est ça ? On peut le faire. Il suffit de s'allier. On va retrouver Allison, contacter Ben et... 

- J'en ai marre, Abby. J'ai passé 45 ans dans un futur apocalyptique, séparé de ma famille, sans savoir si j'allais la revoir un jour. J'avais juste envie de revenir en arrière et de débouler en leur criant : "Il y a une fin du monde à arrêter ! Je dois vous prévenir !" 

Il pleure sans retenue maintenant. Je déteste ça et je me tortille, mal à l'aise. J'ai envie de le serrer dans mes bras mais je sais qu'il se dérobera aussitôt. 

- J'ai sauvé le monde trois fois, en même pas deux mois. J'ai vu ma famille morte, je l'ai sauvée. Je suis vidé, maintenant. Je ne peux pas continuer comme ça. On apprend un nouveau danger pour l'humanité comme dans une pochette surprise. J'en ai marre. J'en ai marre et je veux juste que ça s'arrête. Pourquoi on gagnerait une fois de plus, de toute façon ? Qu'est-ce qu'on a fait, ma famille et moi, pour être encore là ? En vie ? 

Je sais que c'est une question rhétorique mais je réponds quand même. 

- Parce que vous êtes invincibles. Parce que tu es invincible. Tu as traversé tellement d'épreuves, une personne normale n'aurait même pas tenu un mois, et toi tu as réussi à survivre des années seul, tu t'en rends compte ? Tu es plus fort que n'importe qui, et c'est certainement pour ça que tu es encore en vie pour en parler, alors tu en es capable, Cinq. Vous en êtes tous capables. 

J'ai débité ça sans réfléchir, ma bouche allait plus vite que mon cerveau. Ou l'inverse. En tout cas, je pensais que Cinq serait consolé par mes paroles, ou en tout cas en serait reconnaissant, me remercierait ou un truc du genre. Mais ses yeux verts sont redevenus secs et il me regarde avec dureté. 

- Tu crois que je suis quoi ? Superman ? Je ne suis pas un robot qu'on peut recharger à chaque nouvelle mission ! Ce n'est pas marrant d'annoncer deux fois de suite à sa famille qu'on va tous bientôt mourir, tu sais ! 

Je reste clouée sur place de stupeur. 

- Et moi, alors ? Tu crois quoi ? Que c'est une partie de plaisir de faire des calculs pendant un an, pour essayer de venir dans une dimension, prévenir une famille exténuée que leur père adoptif va instaurer une dictature quasiment impossible à arrêter ? Surtout quand on ne me croit pas, et que le soir je me demande comment je vais faire pour tenir une promesse à une petite fille pleine d'espoir qui n'a plus que deux ans à vivre, une promesse qui se détruit chaque seconde, quand je vous parle et que vous ne me prenez pas au sérieux ? Quand chaque jour est compté ? Parce que oui, Lyra a une leucémie et tout le monde à Phoenix s'en fout. Ce n'est pas drôle de vivre avec ce sentiment de désespoir, Cinq, si tu pensais le contraire. Tu sais quoi ? Hier soir, je me disais encore : Cinq Hargreeves, en fait, tu n'es pas un gros con égocentrique comme je l'avais imaginé. Eh bien, je ne sais pas ce que j'avais consommé pour dire ça, mais la claire et nette vérité, c'est que tu l'es. Un connard égocentrique qui ne pense qu'à sa petite personne, à faire chier et rabaisser les gens qui veulent l'aider, et qui voudraient bien qu'on les aide, eux aussi.

Je reprends ma respiration et me mords l'intérieur de la joue pour ne pas pleurer. Cinq me regarde, toujours impassible, les traits durs et la bouche fermée. Seuls ses yeux expriment quelque chose. De la colère ? Tristesse ? Amertume ? Je n'en sais rien et je m'en fous. Je pars du bureau en trombe. Luther est reparti. Diego est sorti, apparemment. J'entends Lila parler d'une voix douce dans sa chambre, sans doute à Elliot ou Vanya. Klaus est sur le balcon et boit un mojito. Viktor est assis sur le canapé et se redresse en me voyant. 

- Ca va...? 

- Ouais. Ouais, je crois. 

Je me dirige vers mon sac dans l'entrée. Je crois que j'ai besoin de me défoncer. Sinon, que faire d'autre ? 

Erlar || TUA 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant