Chapitre 49 : Regarder le même ciel ensemble

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Des fois, à Phoenix, quand je n'arrivais pas à dormir, je sortais de ma chambre, traversais des couloirs, ouvrais discrètement la porte de secours et grimpais sur le toit.

Je me rappelle du ciel d'un noir d'encre et des étoiles qui le constellaient. Je m'allongeais sur le dos, sur le béton froid et, si je me concentrais assez, j'arrivais, en fixant le firmament au-dessus de moi, à le traverser, à l'imprégner en moi. Mon corps était toujours sur le toit de l'orphelinat, mais mon esprit voyageait à travers le ciel et l'espace. L'espace d'un instant, je pouvais m'imaginer une autre vie, sentir quelques secondes que j'étais une autre personne, une autre fille de 15 ans, sans problèmes sur le dos. Mais j'y parvenais rarement.

C'est ce que j'essaie de faire en ce moment même. Sans succès.

- Euh... Abigail ?

Je ne réponds pas mais me redresse et me rassois sur le bord du toit, mes pieds dans le vide, au-dessus d'Erlar qui commence à s'illuminer. Les néons clamant HARGREEVES ou une entreprise de Reginald, de toutes les polices et couleurs, sur des buildings, s'allument et je les distingue au loin, au cœur de Bell Row. Mon souffle dessine de petits nuages dans l'air glacé et mes mains sont encore plus froides que d'habitude.

- Je suis toujours en état de choc, alors n'essaie pas de me parler, sinon je me jetterai du toit pour en finir avec ma vie. Mais je ne suis pas sûre de vraiment mourir, car on me cache tellement de choses que c'est probable qu'en fait, je suis immortelle, j'ai 112 vies parallèles ou bien je suis en fait un androïde fabriqué par les Russes pour détruire la Terre, si ce cher Reggie ne s'en charge pas avant.

Ben a un petit sourire et s'assoit à côté de moi.

- Tu te souviens de certaines choses ? demande-t-il.

- Non. Et toi ?

- Tout ça remonte à longtemps. On savait tous que ma mort avait été causée par un certain «incident Jennifer», sans plus... mais, il y a quelques années, quand j'étais à la Sparrow Academy, il y a des choses qui me sont remontés en tête. Un visage. Et des paroles de chanson. J'ai cherché, et en fait c'est...

- Teenage Dream, je dis en même temps que lui.

Il sourit. 

- Oui. On a certainement dû la chanter ensemble. Et donc, reprend-il au bout de quelques secondes silencieuses, j'ai dessiné ce visage, car il me rappelait quelqu'un, mais je ne savais pas qui. Pourtant, je ne sais pas expliquer pourquoi ni comment, je savais que la propriétaire de ce visage s'appelait Jennifer. Je l'ai dessiné. J'ai toujours les dessins. 

Ben sort des feuilles froissées de sa poche et me les tend. J'essuie mes yeux humides et les déplie. Ce sont plusieurs portraits d'une seule et même personne. Je crois que c'est moi, en plus âgée. Au fusain, à l'aquarelle, aux pastels. 

- Je sais que je suis une merde en dessin mais... 

- C'est magnifique, je souffle.

- Ah ? 

- Je regrette de moins te connaître. A mon avis, c'est trop tard pour tout rattraper, mais si j'avais su... enfin, je ne sais pas... 

Comme je ne sais plus quoi dire et que j'enfile des mots sans aucun sens, j'entoure son torse de mes bras et je le serre contre moi. Il semble surpris mais me rend mon étreinte. J'entends la porte qui s'ouvre et Cinq arrive sur le toit. 

- Oh, je ne voulais pas... commence-t-il en faisant demi-tour. 

Je me détache de Ben, qui sourit et dit : 

- Je vous laisse. 

J'hoche la tête à regret et il redescend. Mais je suis secrètement contente quand Cinq s'assoit à côté de moi. 

Il ne dit rien mais passe son bras autour de ma taille. Ce simple geste déclenche des fourmillements dans mon ventre. Cinq ne parle pas, mais son bras veut tout dire. Il est là pour moi. Je pose ma tête contre son épaule et on reste là, nos hanches l'une contre l'autre, nos têtes empilées et ses doigts pressés sur mes côtes. 

Je me souviens d'un passage dans un livre que j'avais lu il y a longtemps :

"On ne se parlait pas beaucoup et on ne se regardait pas beaucoup non plus ; mais ce n'est pas grave, car nous regardions le même ciel ensemble - ce qui est sans doute plus intime que de croiser le regard de l'autre, car tout le monde peut vous regarder. Mais il est plutôt rare de trouver quelqu'un qui voie le monde tel que vous le voyez."


Je ne sais pas exactement à qui attribuer cette citation, mais je l'aime bien, car elle résume parfaitement la situation.

To be continued...



My tea's gone cold, I'm wondering why I got out of bed at all

The morning rain clouds up my window and I can't see at all

And even if I could it'll all be grey, but your picture on my wall

It reminds me, that it's not so bad, it's not so bad

Erlar || TUA 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant