Liam
Je claque la porte en rentrant et laisse tomber mon sac sur le carrelage.
- Liam ! Je t'ai déjà demandé cent fois de fermer avec douceur cette porte !
Je ne prends pas la peine de répondre. Je ne prends plus la peine. Les yeux rivés sur mon portable, je passe devant le bureau de mon père sans m'arrêter. Comme d'habitude, il exigera que je redescende le voir pour lui résumer la journée une fois que j'aurai un pied à l'étage. Et comme d'habitude, j'inventerai mensonge sur mensonge pour qu'il puisse continuer de penser que sa vision utopiste de moi est la bonne. Ce n'est que de cette façon que j'aurai son attention, mais après dix-sept années à vivre de cette façon, je n'en suis plus touché.
Pourtant, cette fois, il reste silencieux, même une fois la dernière marche de l'escalier passée. J'attends, surpris, puis secoue la tête et me dirige vers ma chambre.
- Tu ne viens pas me voir ?
Ma main reste en suspens au-dessus de la poignée de ma porte et je fais demi-tour après un soupir.
Son bureau est immense. De grandes baies vitrées offrent une vue imprenable sur la grande cour derrière la maison. Néanmoins, papa insiste toujours pour que l'imposant luminaire à côté de sa table soit allumée en permanence. La pièce a beau être grande, le peu de meubles qui s'y trouvent renforcent son côté vide, pour le bien-être du cerveau, m'a-t-il expliqué une fois. Il dit qu'il peut alors remplir la pièce de ses réflexions sans risquer de se distraire par des babioles inutiles. Tout est tellement blanc et épuré que l'enfant que j'étais était interdit dans ce lieu au risque de tâcher le tapis qui couvre le sol sur la moitié de la pièce.
J'observe mon père. Il fronce les sourcils en observant son ordinateur et feuillette des papiers, un stylo à la main. Il relève la tête quand je tire la chaise en face de lui et me regarde d'un air perdu.
- Liam, je t'ai déjà dit de faire doucement quand tu es ici. Je sais que c'est différent quand tu es avec tes copains au lycée, mais ce n'est pas le zoo, là.
- Désolé. Tout va bien ?
- Fais-y attention la prochaine fois. J'ai besoin de me concentrer. Il y a une jeune fille, de ton âge il me semble, qui pourrait bientôt se sortir de sa saloperie de cancer. Mais j'ai besoin de contact et de plus de certitudes pour ne pas l'envoyer dans n'importe quel hôpital.
- Ah.
C'est tout ce que je trouve à répondre. Et cette fois, j'ai fais un effort. Parce que oui, mon père est médecin. Un sauveur, un courageux, un héros. Pour les autres, peut-être. Mais pour moi, c'est une autre histoire. Il est tellement accaparé par son travail qu'il en oublie mon existence. J'ai toujours vécu comme ça, ça ne devrait plus me toucher. Pourtant, de voir qu'il s'inquiète plus pour cette fille que pour moi depuis dix-sept ans me serre le ventre.
- Tu verras, quand tu auras le pouvoir de sauver des gens, toi aussi, tu comprendras.
Ah oui. Parce qu'il m'a toujours élevé pour que je suive sa trace. Et j'ai toujours suivi son exemple. Une espèce de naïveté d'enfant, j'imagine. J'ai cru qu'il s'intéresserait plus à moi si j'étais parfait dans tout ce que j'entreprenais. Qu'on passerait plus de temps ensemble si je partageais sa passion pour son métier. Que je compterais pour lui si j'avais le même but.
Je me suis trompé. Je me suis toujours trompé. Je ne suis jamais assez pour lui. Et c'est idiot, parce que même si je le sais, je continue de croire qu'il suffirait que je sois parfait, comme il voudrait que je sois pour qu'il me donne enfin l'attention d'un père pour son fils. Au fond je suis toujours le petit garçon qui cherche à atteindre son papa et qui pleurait simplement pour qu'il lui offre quelques secondes de son temps entre deux patients à soigner.
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Pétrichor
RomanceQuand elle apprend qu'elle a une leucémie, Manon n'a pas d'autre choix que celui de s'accrocher à sa vie du mieux qu'elle peut. À tant vouloir reprendre une existence normale, elle érige des barrières entre elle et le monde à coups de non-dits. Liam...