Liam
Quand je rentre, il est tard mais la maison est vide. Rien de surprenant en somme. Mon sac semble peser des tonnes et ma tête aussi.
Je m'assieds sur un des fauteuils et laisse mon regard parcourir notre immense salon. Tout a l'air si vide, si impersonnel. C'est à peine si on a l'impression que quelqu'un vit ici. Avant, mon père laissait toujours une note pour moi. Brève et assez froide, mais on voyait qu'il avait pensé à moi.
Ces posts-it me semblent bien loin.
Je ne saurai dire à partir de quand il a arrêté de s'occuper de moi. Il passe son temps à me répéter que je suis assez grand, que je n'ai pas besoin de lui, mais c'est faux. J'ai dix-sept ans, et je vis seul depuis cinq ans. Du moins, c'est ainsi que je le ressens.
J'avais cru que le rendre fier suffirait. Mais le départ de maman a tout balayé. De nous, il ne reste plus qu'un nom de famille qui nous rapproche.
Je ne comprends même plus pourquoi j'en ai voulu à ma mère de s'être barrée ce soir-là. Vivre avec un fantôme, c'est épuisant. On a l'impression de ne pas exister à notre tour, de ne pas être assez important. Parfois, il m'arrive de penser que mon père s'occuperait plus de moi si je me blessais gravement.
Quand je repense aux nombres de fois où je me suis approché de la route avec une hésitation claire dans la tête, je sens ma poitrine se compresser. Je repense aux cicatrices que j'ai sur le corps, et l'épisode qui s'en est suivi. Depuis quand un garçon de quatorze ans se demande si cela vaut le coup de se retrouver paralysé à vie juste pour avoir une once d'attention ?
Peut-être que le pire, c'est que ma réponse penchait toujours vers le oui. Je n'ai juste eu jamais de courage pour foncer tête baissé sur la première voiture qui passait. Et maintenant, j'ai acquis la maturité ou la lassitude nécessaire pour ne plus essayer de l'envisager.
L'année prochaine, je me barre. Finie cette ville pourrie où les gens ne me connaissent que pour mon père, finies les adulations acquises par mon simple nom de famille que je déteste parce qu'il me renvoie trop à un fantôme, fini ledit père qui trouve toujours le moyen de me montrer combien je le déçois.
Je rêverai de partir loin d'ici pour ne jamais revenir. Vraiment. Si j'avais le courage, j'aurai mis le cap longtemps avant. Rien ne me retient. À part Evan.
Je sors de ma poche mes écouteurs et souris à la vue du manquant.
Manon. Elle m'intrigue. Beaucoup. Tellement qu'elle pourrait presque rejoindre la liste des choses qui me motivent pour me lever le matin.
J'allume mon portable. Rien de nouveau. Je commence à remonter vers ma chambre quand une idée vient titiller mon cerveau.
J'ouvre Instagram, et recherche naïvement une Manon qui pourrait correspondre à celle qui occupe mes pensées. La voilà.
Elle n'a qu'un seul cliché d'elle, qui date de quelques années. Elle a l'air heureuse mais je ne trouve rien de familier dans son sourire. Celui qu'elle arbore maintenant est différent. Presque plus sage, moins relâché.
Je reste longtemps devant mon écran, hésitant à lui envoyer un message. Je me suis vraiment amusé avec elle. Mais peut-être était-ce juste un moment agréable, rien de plus.
La grande horloge sonne vingt-trois heures.
Je n'ai rien mangé, et je suis toujours seul. Ce soir, particulièrement, cette solitude me touche. Pourtant, je monte dans ma chambre et ouvre sur mes genoux un manuel de mathématiques. Une heure plus tard, j'entends mon père rentrer. Il peste contre quelque chose mais je n'arrive pas à comprendre quoi.
VOUS LISEZ
Pétrichor
RomanceQuand elle apprend qu'elle a une leucémie, Manon n'a pas d'autre choix que celui de s'accrocher à sa vie du mieux qu'elle peut. À tant vouloir reprendre une existence normale, elle érige des barrières entre elle et le monde à coups de non-dits. Liam...