Chapitre 26

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Liam

     J'attends Evan à l'entrée du lycée quand Anna s'arrête devant moi, tout sourire.

- Salut !

    Je me retourne, cherchant la personne à qui elle aurait bien pu s'adresser. Quand je comprends que je suis le principal intéressé, je réponds un « salut » plat pour qu'elle comprenne le message.

- Tu attends quelqu'un ?

    Elle n'a absolument pas saisi, et sa main se pose sur mon bras avant qu'elle se penche sur mon téléphone.

- Oh, j'adore ce chanteur aussi !

     Je me mords les lèvres pour ne pas lui signaler que U2 est un groupe, et non un chanteur. 

- Ah. Tu n'aurais pas vu Evan ? je finis par lui demander.

- Non. Je peux te tenir compagnie en attendant !

     C'est dans un sourire crispé que je réponds à sa proposition. Je n'ai rien contre Anna, c'est plus que j'ai du mal avec son attitude faussement enjouée en permanence. Elle me tourne autour depuis plusieurs mois, quand bien même j'ai tenté de lui faire comprendre que je n'étais pas intéressé.

- Alors comme ça, tu es ami avec madame je sais tout ?

- Madame je sais tout ?

- Ouais, la fille là, avec des lunettes, qui ne parle avec personne. Pauline m'a dit que vous étiez ensemble en cours.

- Manon ?

     Elle hoche la tête. Je vois rouge.

- Pourquoi tu l'appelles comme ça ?

- Je ne sais pas, elle est tellement à part que je ne savais même plus comment elle s'appelait. Et puis, elle prend les gens de haut avec ses grands airs. Comme si elle était au-dessus de tout le monde. Non, mais c'est vrai quoi, elle est toujours seule, je me demande si elle sait au moins parler.

- Si vous appreniez à la connaître au lieu de la juger de loin, ça arrangerait les choses.

     Elle soupire. 

- Comme si on n'avait jamais tenté ! Je ne compte pas le nombre de fois où j'ai tenté de lui parler avant de me faire jeter comme une merde. Je t'assure, elle ne fait même pas semblant de s'intéresser à toi quand tu t'adresses à elle, enfin, je veux dire, déjà qu'on fait des efforts, si elle ne cherche pas un minimum à s'intégrer, elle va vraiment rester seule. Trop bizarre, en plus la fille, tu vois, elle...  

    J'arrête d'écouter son ramassis d'excuses quand mon regard capte la présence de la concernée à une vingtaine de mètre de nous. Elle marche rapidement, son carré blond lui couvrant les joues, écouteurs enfoncés dans les oreilles, et portable à la main.

    Elle m'a ignoré toute la semaine et aujourd'hui encore, profitant de l'absence de monsieur Ornier qui s'est prolongée pour ne pas me croiser. La voir, penchée sur son téléphone me laisse un goût amer dans la bouche quand je pense aux dizaines de messages que je lui ai envoyé sans réponse. J'ai souvent l'impression de devoir jouer au chat et à la souris avec elle, et ce petit jeu commence à me peser.

- ... je ne dis pas qu'elle a l'air antipathique, simplement qu'elle a l'air de se contrefoutre du monde qui l'entoure, comme si personne n'était assez bien pour elle, tu vois ? Toi qui la connais, tu dois bien le savoir, non ? C'est pour ça que je ne vous vois plus ensemble, n'est-ce pas ?

    Les mots d'Anna résonnent, se confondant dans la silhouette de la blonde qui fuit sans un regard en arrière, pour ne plus former qu'une seule et même entité.

- Liam ?

    Je refais face à Anna, qui attend une réponse à une question que je n'ai pas écouté.

- Hum, désolé, j'étais perdu dans mes pensées, je dois y aller.

    Après un bref salut, et un message à l'adresse d'Evan pour m'excuser d'être parti sans lui, je me décide à rattraper Manon. Depuis que nous nous sommes réconciliés, j'ai presque l'impression que l'on est plus soudés, comme si on avait eu besoin chacun d'une pause pour repartir plus forts encore. Il n'arrête pas de me pousser à aller la voir, je crois qu'il a remarqué que son absence me touchait plus que je ne voulais l'admettre.

    Je marche rapidement et ralentis seulement quand je distingue sa silhouette. Avec une distance d'une dizaine de mètres, je peux la suivre sans qu'elle ne me voie et je décide de rester discret. 

    Mon pull à capuche rabattu sur ma tête, j'ai la folle impression d'être dans un film d'espionnage, accompagné de James Bond et ses acolytes. Lorsqu'elle s'arrête à l'arrêt de bus, je m'immobilise, près d'un banc non loin, sans la quitter des yeux. 

     Je veux lui parler, mais je veux au moins attendre le bon moment. La prendre par surprise entre deux arrêts de bus ne me semble tout simplement pas la meilleure des solutions.

    Un bus finit par s'arrêter et elle grimpe dedans. J'applique mes souvenirs des cours de marches rapides dont mon père me parlait souvent pour monter moi aussi dedans avant que les portes ne se referment. Un coup d'œil me permet de la remarquer, non loin, la tête collée à la vitre côté route. 

     Ses traits sont tirés et elle paraît fatiguée, mais je ne m'attarde pas, de peur de me faire voir. 

    Je prends place quelques sièges derrière elle et attend sagement qu'elle descende. Je connais le chemin, je l'ai déjà fait plusieurs fois, et toujours à côté d'elle. C'est la ligne direction l'hôpital. 

***

     Il fait presque nuit quand je rentre chez moi. Mon skate sous le bras, j'ouvre l'immense porte d'entrée et enlève mes chaussures, machinalement. La maison paraît vide, plus encore que d'habitude. J'ai l'impression d'être vide, moi aussi. Quand je repense à tout ce qui m'a échappé ces derniers mois, seul un rire jaune franchit mes lèvres. 

     Je me sens tellement bête. 

     Je sais que mon père ne rentrera pas tôt ce soir, alors je monte directement dans ma chambre. Recroquevillé sur la matelas de mon lit, je laisse tourner en boucle mon esprit, ne sachant plus comment traiter le flot d'informations que j'ai eu aujourd'hui. 

    Je croyais que nous étions amis. Je pensais qu'elle le savait. Qu'est-ce qui a pu m'échapper à ce point ? Elle est dans ma vie depuis plus de six mois, et pourtant, je ne la connais toujours pas. C'est comme si elle m'avait rejeté, une fois de plus. 

     Je n'ai qu'une question qui tourne en boucle dans mon esprit. 

     Pourquoi ?

PétrichorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant