Chapitre 28

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Liam

    J'ai un trou béant dans la poitrine. Ce sont les mêmes phrases qui tournent en boucle dans ma tête depuis hier soir. Je ne sais pas à qui j'en veux le plus. Mon père de ne pas m'avoir dit ce  qu'il savait quand il l'a croisé, Manon de m'avoir caché ce pan de sa vie depuis qu'on se connaît, ou encore moi-même pour ne pas avoir été foutu de la comprendre et de l'aider alors qu'elle en avait besoin.

    Je viens de me prendre en pleine tête ce que je redoutais depuis longtemps. Le rejet si violent de sa part. Je ne sais pas à partir de quand elle a pris cette place, mais cette fille a une importance primordiale dans ma vie. Je crois que comprendre que ce n'était pas réciproque m'en a fait prendre conscience.

     J'allume de nouveau l'écran de mon téléphone et je ne peux pas m'empêcher de fixer les messages sans réponse.  Pour la première fois, je comprends la raison de ce silence.

- Je te déteste, je murmure à l'écran, impuissant.

    En bas, j'entends mon père s'activer. Le vendredi, il essaie souvent de rester à la maison, même s'il doit traiter des dossiers depuis son bureau. 

    Je ne me lève pas. Mon portable affiche neuf heures passées et le jour s'engouffre dans ma chambre à travers la fenêtre dont j'ai oublié de fermer le store, la nuit passée. Je suis en boule dans ma couette, mon téléphone serré contre mon torse quand j'entends des pas grimper l'escalier.

     Ma porte s'ouvre mais je ne bouge pas. Je ferme les yeux, en priant pour qu'il disparaisse. Je n'ai pas le courage de l'affronter, lui aussi.

- Liam, gronde-t-il.

     Je gémis sous ma couette. 

     Je pourrai presque entendre son cerveau tourner à plein régime.

- Tu as cours, n'est-ce pas ?

     Son ton, bien que froid, se veut plus doux que d'habitude.

- Papa, s'il te plaît...

- Tu sais très bien que tu ne peux pas rater les cou...

     Je relève la tête vers lui, cherchant une pointe de compassion. 

- S'il te plaît, je ne me sens pas bien du tout.

     Je le vois qui hésite à se rapprocher. Il finit finalement par s'asseoir sur le bout de mon matelas. 

- Tu es malade ? Tu as de la fièvre ?

- Je... Je ne sais pas.

- Liam, tu devrais être au lycée depuis une heure, ne joue pas à ce jeu-là.

- ... 

- Tu peux me répondre ?

    Je hoche la tête, mollement. 

- Habille-toi, je t'attends dans cinq minutes.

     Il repart, aussi vite qu'il est arrivé. 

    Ma boule au ventre ne me quitte pas, elle est là, fidèle à sa place depuis que je suis sorti de l'hôpital. J'attrape un jean, un t-shirt et les enfile sans m'attarder. 

     Dans la cuisine, papa est debout, un café dans la main, son portable dans l'autre. 

- Je t'ai sorti une tasse et du pain.

     Je pose les yeux sur les tartines toutes prêtes et je ne sais pas si je dois le croire. L'imaginer me préparer ça me paraît surréaliste. J'ai l'impression que l'homme qu'il était hier avec Manon est toujours un peu avec moi dans cette cuisine et je n'en reviens pas. 

     Je m'assois, après un léger remerciement et croque dans le pain. L'avaler est difficile. Je ne sais pas comment agir aujourd'hui. Il me manque une motivation blonde aux yeux rieurs.

    Si le premier morceau de pain est passé avec quelques difficultés, une bouchée du deuxième me donne la nausée. Je ne peux pas. 

    Papa fronce les sourcils, mais pour une fois, je ne vois pas de la désapprobation mais une certaine inquiétude qui transperce ses pupilles. 

    Je pose la tartine, une grimace sur le visage et me lève pour aller dans l'entrée. Si on doit y aller, autant le faire rapidement. Mon père pose prudemment sa tasse et me rejoint, le téléphone contre l'oreille.

- Je ne sais pas quoi vous dire. Non, elle en a encore pour quelques temps... Oui... Oui... Bien sûr...

     Nous avançons vers la voiture, sa discussion téléphonique en fond. Puis, peu à peu, le monde autour de moi se met à tanguer. Je me raccroche à un tronc d'arbre et mon père se retourne dans ma direction, étonné. 

     Soudain, je laisse mon corps expulser ce que je viens de manger. 

- Excusez-moi, je vais devoir couper... Une urgence à régler. Je vous rappelle quand je peux, d'accord ? ... Merci, vous aussi, à bientôt.

     Papa est déjà proche de moi, son portable tout juste éteint, une main sur mon dos.

- Liam, tu vas bien ? Tu as la tête qui tourne ? Pose ton sac, là, et assieds-toi. J'arrive. Tu ne bouges pas. Respire.

    Je ferme les yeux pour arrêter les mouvements de la terre autour de moi. Tout est si flou... J'entends mon père se rapprocher de nouveau avec une serviette mouillée qu'il pose sur mon front et un verre d'eau qu'il me propose. 

     Pendant que je bois, il arrose l'endroit où j'ai laissé mon petit-déjeuner. 

- Tu es vraiment pâle.

- Ah ?

- Tu te sens mieux ?

- J'en sais rien... 

    Mon corps est secoué de haut-le-cœur, alors que mon cœur, lui, continue de rester désespérément vide. Pourtant, pour la première fois depuis des années, mon père passe son bras sous mes épaules et m'aide à me lever. 

- Tu vas te reposer, je m'occupe de prévenir le lycée.

    Il me soutient pour m'aider et j'en pleurerai presque. Il est là, à côté de moi, inquiet, prêt à me réconforter, m'épauler. Mon père est présent. Papa est là pour la première fois.

PétrichorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant