Manon
Liam est à notre point de rendez-vous, la tête penchée sur son portable. Nous nous sommes revus depuis notre Noël improvisé, mais seulement pour quelques heures, histoire de passer du temps ensemble.
Je profite de ces quelques minutes où il ne sait pas encore que je suis là, pour le détailler. Il a fait simple : un jean noir et un pull sous son manteau. Le bonnet sur sa tête doit le protéger du froid et je regrette de ne pas avoir eu la même idée.
- Prête pour y aller ? me demande-t-il quand j'arrive à sa hauteur.
- C'est parti.
Une quinzaine de minutes de marche nous sépare de l'endroit où nous sommes censés retrouver les autres, mais ça ne me dérange pas. Je n'ai pas l'habitude de sortir, ainsi. Les seules soirées que j'ai faites de ma vie sont celles que mes amies avaient organisées, début collège, autant dire une éternité.
Liam doit sentir que je suis stressée, puisqu'il me regarde d'un air inquisiteur.
- Tu vas bien ?
- Oui, oui, c'est juste que... ça va aller.
J'essaie de m'en persuader. Je ne suis pas à l'aise au milieu de groupes. L'impression d'être de trop, ou de ne pas être assez me colle à la peau. Sensation troublante qui m'indique que quoi que je fasse, je ne suis pas à ma place.
C'est comme si une distance se créait entre moi et les autres. Je ne peux pas comprendre. Je ne peux pas rire avec eux. Je ne suis pas faite pour ça. Je me sens différente, presque inutile, perdue en tout cas.
Je n'ai jamais connu les rencontres d'un soir, les débauches adolescentes, les week-ends où caler trois sorties en deux jours finit par être possible. Et parfois, quand j'entends ma mère parler de ses souvenirs, je sens que quelque chose cloche au fond de moi. Elle me répète que ce n'est pas grave, que ça finira par arriver, et pourtant. Je ne sais même pas si, au final, ce n'est pas l'envie qui me manque.
Lorsque je dis que je n'ai pas besoin des autres, c'est faux. Je me mens à moi-même. C'est simplement que j'ai besoin de me sentir en confiance pour profiter. J'ai besoin qu'on me montre que je suis normale. Pas juste une adolescente paumée qui ne comprend pas ce qu'est sa vie.
Je crois d'ailleurs que c'est pour cette raison que j'apprécie autant la compagnie de Liam. Il est patient, compréhensif, et je peux me reposer sur lui. Dans ses yeux, je suis Manon, sans artifice, sans adjectif, simplement Manon.
- On va chez qui, déjà ?
- Pierre. Il est avec nous en physique.
Je hoche la tête. Je vois très bien qui c'est. Je soupire, rassurée. On a déjà échangé quelques mots au détour d'un couloir et j'ai toujours apprécié sa bienveillance naturelle.
- Tu ne préférais pas venir avec Evan ?
- Ne t'inquiète pas pour lui, il arrivera avec Amandine.
Il lâche une grimace à la fin de sa phrase mais je ne relève pas. J'ai déjà remarqué l'animosité qu'il éprouvait envers cette fille sans en comprendre la raison. D'accord, je ne suis pas sa première fan, mais j'aurai plutôt eu tendance à penser qu'elle était du style à lui plaire.
Quand nous apercevons une grande bâtisse lumineuse d'où s'échappe une musique au volume déjà indécent, nous échangeons un bref regard. Il n'est que vingt-et-une heures et pourtant, une dizaine de personnes sont déjà écroulées sur le jardin, devant la maison. Certains fument, d'autres commencent à décuver, et d'autres encore ont oublié la notion de lieu public.
- Evan me dit de les rejoindre dans le salon, glisse Liam dans mon oreille.
- Je te suis.
Liam attrape ma main pour que je ne perde pas sa trace. La maison est remplie et je grimace en imaginant son état demain matin. Pas sûre que le propriétaire n'en soit conscient pour accepter autant de monde.
Alors que je détaille autour de moi, je m'écrase contre le dos de Liam qui s'est arrêté brusquement.
- Aïe. Qu'est-ce qui t'arrive ?
Liam ne répond pas, et je ne suis pas sûre qu'il m'ait entendu. Sa main se crispe autour de la mienne, et je m'avance à côté de lui pour en comprendre la raison.
- ... avec Manon.
- Oh, super ! Moi aussi, je suis arrivée avec quelqu'un, c'est juste qu'il est parti rejoindre un pote.
- Ah, d'accord.
Anna est en face de lui, un sourire pétillant sur le visage et un verre dans les mains. Elle est rayonnante dans sa robe à strass et dans la façon dont elle regarde Liam, je me sens de trop. J'essaie de délier nos mains, mais il ne me laisse pas faire.
- Bon, on va y aller, alors...
- Tu retrouves Evan ? Je peux t'accompagner si tu veux, je l'ai croisé tout à l'heure, minaude-t-elle.
- Pas besoin de nous accompagner, ne t'inquiète pas.
- De toute façon, on se recroisera. J'ai hâte qu'on puisse discuter un peu tous les deux, insiste-t-elle.
C'est bon, je me sens de trop.
- Ouais, ouais, c'est ça, conclut-il en me tirant par le bras pour qu'on s'éloigne rapidement.
Il laisse quelques mètres d'écart entre elle et nous et se rapproche de mon oreille.
- Désolé pour le spectacle, Anna n'a toujours pas compris que je n'étais pas intéressé.
- Pourquoi ? Elle est plutôt pas mal dans son genre.
- Je ne trouve pas que se mettre en avant en écrasant les autres ne rende particulièrement attirant.
Je n'ai rien à répondre. Je suis totalement de son avis, c'est juste que je ne pensais pas qu'il aurait remarqué ce côté-là.
- Attention, nouveau spécimen... chuchote-t-il dans le creux de mon oreille lorsque nous nous rapprochons d'un couple enlacé.
- Hein ?
Liam tapote l'épaule du mec qui se détache de sa copine, embarrassé.
- Oh, salut.
Evan a les joues rougies mais sa copine ne montre pas le moindre signe de gêne, à côté.
- Tu viens faire le shérif, Liam ? Sinon, tu peux aussi nous laisser tranquille, pour une fois.
D'accord, animosité partagée entre ces deux-là.
- Salut à toi aussi, Amandine.
- Je suis content que tu aies pu venir, Manon, coupe Evan.
Je ne sais pas s'il est sincère ou s'il cherche juste à ne pas raviver les tensions, mais je souris bêtement.
J'utilise ma main libre pour pincer Liam, et d'un hochement de tête, lui indique les tables avec les boissons. Il se détend un peu et m'accompagne un peu plus loin.
Je crois que la soirée ne sera pas de tout repos.
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Pétrichor
RomanceQuand elle apprend qu'elle a une leucémie, Manon n'a pas d'autre choix que celui de s'accrocher à sa vie du mieux qu'elle peut. À tant vouloir reprendre une existence normale, elle érige des barrières entre elle et le monde à coups de non-dits. Liam...