Pétrichor

Chapitre 36

Manon

     Je sens bien que quelque chose se trame à la façon dont maman agit. Elle a un petit sourire en coin depuis hier soir qui signifie qu'elle en sait plus qu'elle ne laisse paraître. Son histoire de rendez-vous improvisé si tôt le matin ne tient pas debout, et moi non plus par la même occasion.

- Tu as bien pris de quoi boire, de l'argent, et... Oh ! Tes lunettes de soleil, chérie !

- Le docteur Barle tente une thérapie au soleil ?

- Pense à prendre une serviette, élude-t-elle. Je t'ai mis les médicaments dans la pochette de ton sac, d'accord ?

     Assise à la table de la cuisine, je suis  d'un œil lointain son agitation. Il est bien trop tôt pour que je laisse mon cerveau réfléchir à ce qui est en train de se passer, et de toute façon, qui vivra verra.

- Maman, tu ne veux pas te poser un peu ?

- Non, non, il va bientôt...

     La sonnette la coupe et elle sautille vers moi, sourire éclatant sur les lèvres.

- Va ouvrir !

     Je me lève, commençant tout juste à prendre conscience du stratagème qui se joue devant moi. Au pas de la porte se tient un brun bouclé avec un sac à dos et un grand sourire en guise d'accueil. 

- Qu'est-ce qu-

- Surprise ! Tu prends ton sac, et ce dont tu as besoin et on sera de retour dans la nuit.

- Hein ? De quoi tu parles ?

     Liam rentre, salue ma mère, lui fait la bise et commence à vérifier mon sac.

- File t'habiller et on y va.

- Un problème avec ma tenue ?

     Il détaille le pull large que j'ai enfilé par-dessus un mini-short de pyjama tandis que je sens mes joues chauffer.

- Moi ? Aucun. Tu risquerais de ne pas être à l'aise sur le sable...

- On va à la plage ?

- Bouge, si tu ne veux pas louper le train, gronde-t-il.

***

    Je suis d'un œil émerveillé Liam qui se faufile dans les rues aux couleurs vives. Tout ici respire la joie et la vie, sans exception. Depuis ce matin, nous nous baladons de coins en coins, découvrant petit à petit le village dans lequel il m'a amené. 

- Tu étais déjà venu, là ? je demande à Liam en le rattrapant.

- Ouais, l'été dernier avec mes cousins. J'avais adoré, et j'ai pensé que ça pourrait te plaire.

    Même si je ne l'admettrai pas, il a raison. Cet endroit est splendide, et je crois que j'avais besoin d'un peu d'air marin pour me remettre sur pieds. J'ai appris le week-end dernier que cet été je serais de nouveau clouée au lit. Le stade de rémission qui me tenait compagnie depuis quelques mois a de nouveau pris la fuite, la chimio revient en force.

    Ce qui me terrifie à nouveau, c'est de revivre l'année dernière. Les changements dans mon corps, sur mon corps, dans les yeux des autres. Cette période-là me terrifie. En seconde, pourtant, malgré les nausées puissantes qui m'arrivaient brusquement à tous moments, les symptômes avaient été calmes. La fatigue ne m'avait pas totalement clouée au lit, et j'arrivais à suivre mes cours à distance. 

    Mais il y a deux ans, lors de la première session de chimiothérapie, j'ai vécu une à une les étapes de la perte de contrôle de mon propre corps. La fatigue écrasante, les douleurs terribles, et la perte de cheveux inévitable. Cela pourrait sembler  idiot, mais pour la jeune fille que j'étais, cette perte-là m'a semblé une des plus douloureuses. C'était le point de non-retour à l'annonce que j'avais eu quelques semaines auparavant.