Chapitre 30

1.8K 95 3
                                    

Liam

     Il est quatorze heures passées quand je sors de mon lit, l'esprit encore embrumé. Les heures de sommeil récupérées font du bien à mon moral et le brouillard épais de mes pensées désépaissit petit à petit.

    Quand je descends, une veste à la main, décidé à me promener pour prendre l'air je croise mon père qui me regarde, inquisiteur. 

- Tu sors ?

- Hum, oui. Ça va mieux, je vais m'aérer l'esprit.

     Il pointe du doigt un sandwich maladroit sur la table de la cuisine.

- Prends ça, il te faut reprendre des forces et sauter le repas ne va pas t'aider.

- Merci, papa...

    Il hausse les épaules et repart dans son bureau. Je lui demanderai bien aussi s'il a mangé ce midi mais je connais déjà la réponse. Son travail lui occupe tellement l'esprit qu'il fait trop souvent l'impasse sur tout ce qui le touche. J'en suis le premier concerné, mais pour une fois, cette idée ne me met pas en colère. 

     Alors je coupe le sandwich en deux et lui laisse une note sur la table, avec l'autre moitié. 

     Quand je sors, le soleil est lui aussi accueillant et je regretterai presque de ne pas avoir pu profiter de cette journée pour sortir avec Evan, pourtant, le nœud dans ma gorge se resserre en y pensant. 

    Je prends mon skate et roule sur la route, cherchant à rejoindre le parc à une dizaine de minutes de chez moi. Plutôt calme, bien fréquenté, et très vert, c'est l'endroit où j'allais toujours pique-niquer avec ma mère quand j'étais plus petit. C'est aussi celui où je passe mes soirées avec mon meilleur ami.

    Le soleil fait du bien à mon esprit et mon humeur. J'ai l'impression d'avoir été lessivé tout ce matin et d'ouvrir enfin les yeux. J'arrive dans le parc rapidement, laissant mon esprit s'abandonner au fil de la musique dans les écouteurs que j'ai emprunté à mon père. 

     Skate sous le bras, j'avance doucement avant de reconnaître une silhouette de dos, non loin de là. Son carré blond qui remue au fil du vent, elle est repliée sur elle-même, à côté d'un vélo que j'imagine être le sien.

    À nouveau, ma poitrine me fait mal. Même quand j'essaie de faire sortir Manon de ma tête, il faut qu'elle apparaisse devant moi. Je recule doucement, pour l'observer sans qu'elle ne me remarque. Ses yeux sont rouges, mais elle attrape son portable, sans y faire attention.

     Quand elle plaque l'appareil sur son oreille, je sens vibrer le mien dans ma poche et je prends l'appareil dans mes mains, déjà prêt à répondre.

- Allô ? Liam ?

- C'est moi, Manon... dis-je doucement pour ne pas la brusquer.

- Je sais que j'ai été horrible. Je sais que tu dois me détester. Je pourrais inventer une panne de téléphone, du travail à ne plus savoir où en donner de la tête, ou même un enlèvement par un dégénéré, mais sache que rien de tout ça n'est arrivé.

- Manon...

- Laisse-moi finir, je suis désolée, d'accord. Vraiment désolée. J'ai merdé, comme il faut.

     Elle renifle.

- Tu pleures ?

     Je connais la réponse parce que mon regard ne peut pas quitter son visage à travers le buisson.

- ... Non... Oui. Oui. D'accord, tu as gagné. Oui, je pleure. Ne pense pas que c'est pour toi. Tu n'es pas si extraordinaire que ça, quand même. Je suis juste... Ne pose pas de questions en fait. Mais je voulais seulement que tu saches que je m'en veux. Désolée de t'avoir laissé sans nouvelle. Et désolée de t'avoir évité. 

- Tu veux m'en parler ?

- J'aimerai te voir pour me faire pardonner. Vraiment, je suis désolée.

    Elle omet ma question consciemment, mais je devine, en voyant son expression embarrassée, qu'elle n'est pas prête. Je décide de laisser ce que je sais de côté et sors de ma cachette.

- Retourne-toi.

- Hein ? Qu'est-ce que...

     Son visage s'éclaire et elle se précipite dans mes bras. Je les lui ouvre tandis qu'elle se réfugie à l'intérieur, coupée entre son rire et ses larmes.

- Je ne veux même pas parler du fait que tu me suis.

- Je ne te suivais pas. Tu n'es pas si exceptionnelle, toi non plus.

- J'm'en fous. Je suis désolée, Liam, tellement désolée...

    Je respire ses cheveux tout en continuant de la serrer dans mes bras. C'est marrant comme une semaine devient si facilement une éternité.

- Je suis tellement désolée, pardon, pardon...

- Je ne t'en veux pas, Manon.

     Et c'est vrai. J'ai fini par apprendre qu'il n'y avait rien de plus important que le moment précis qu'on est en train de vivre, et elle est là, dans mes bras. 

     Elle s'accroche un peu plus à moi et je comprends que même si la culpabilité l'étreint, c'est plutôt d'un soutien dont elle a besoin, maintenant.

- Tu m'as manqué, miss blondie.

- Je te déteste, souffle-t-elle.

     Et pourtant, je n'en crois pas un mot.

PétrichorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant