Liam
La tête dans mon ordinateur, je ne vois pas mon père s'avancer dans le salon. Il se racle la gorge et je me retourne pour le voir debout, derrière le canapé.
- Qu'est-ce que tu regardes ?
- Des billets de train. Je t'en ai parlé, j'emmène Manon voir la plage le week-end prochain.
- C'était de Manon dont tu m'as parlé ?
Je hoche la tête, trop absorbé par ma recherche.
- Tu... Tu passes beaucoup de temps avec elle en ce moment, non ?
Je lève les yeux de mon ordinateur, surpris par sa question. Il s'est installé en face de moi, cette fois, assis sur un des imposants fauteuils qui compose le salon.
- Euh... Depuis, octobre même, il me semble.
- Ah, oui ?
- Ouais, je finis par dire, intrigué par son manège.
Il évite mon regard et je retrouve le malaise qui nous entourait le soir où Manon est partie sans prévenir de chez moi. C'était il y a plus d'un mois, pourtant, une sorte de non-dit traîne entre nous depuis.
Je crois que le moment où il a vraiment pris conscience de notre proximité, est lorsque je suis rentré tardivement le soir après avoir partagé un repas avec sa mère et elle. Depuis, Florence m'a plusieurs fois proposé de rester lorsque j'étais chez elles et j'ai eu le temps de prendre ma revanche lors de nos parties de jeux de société qui suivent habituellement les repas que nous partageons.
- Je vois quand même Evan, hein. Ne te fais pas de faux espoirs.
Il soupire et ne répond pas, comme résigné. Bizarre, je m'attendais à plus de repartie de son côté.
- Et vous partez alors que le bac arrive ?
- On a déjà passé le plus gros, il ne reste que la philo' et l'oral dans un petit mois, ça devrait aller. On mérite bien un petit changement d'air avant la fin de l'année. Je t'ai dit, je m'occupe de payer, en plus.
- Tu sais bien que ce n'est pas le problème.
- Il y a un problème ? Papa, je t'en parle depuis des lustres !
Il soupire, et passe son regard de moi à tous les meubles du salon, cherchant ses mots.
- Elle est au courant ? Que vous partez sur deux jours ?
- Sur une journée, déjà. Et non, c'est le concept d'une surprise. Pourquoi ? Quel est le problème ?
- Ses parents sont au courant ? Et ils sont d'accord ?
- Oui, papa, je m'en suis occupé. J'ai le feu vert de sa mère, ne t'en fais pas.
- Et... Tu... Tu sais ?
Je finis par poser mon ordinateur à côté de moi et pose mes coudes sur mes genoux, soutenant ma tête sur mes mains. Je sonde mon père du regard, attendant qu'il s'explique, mais rien ne vient.
- Je ne suis pas le plus doué aux devinettes, tu devrais le savoir. Tu sais, avec ton truc de « on s'exprime », j'ajoute en mimant les guillemets.
Il se renfrogne, vexé que j'ai retourné ses répliques envers lui.
- Pourquoi vous devez y aller en train ?
- On en a juste pour trente minutes comme ça. En bus, le trajet est trois fois plus long, et c'est moins confortable, tu sais bien.
Il hoche la tête, et je décide de reprendre mon ordinateur sur les genoux. Il faut que je ne tarde pas trop à réserver les billets si je veux des tarifs intéressants. L'aller ne me paraît pas mal avec son départ à huit heures trois de la gare. J'aimerai juste trouver un retour le plus tard possible, pour profiter d'un coucher de soleil sur le sable.
Entre temps, Papa s'est levé, du fauteuil, pourtant, je le vois hésiter.
- Il y a quelque chose d'autre ?
- Tu l'aimes bien cette Manon ?
Je m'étouffe, surpris par sa question. Depuis quand il joue à celui intéressé par mes confidences ?
- Pourquoi ? Je veux dire, oui, on est amis, et on s'entend bien, et... Pourquoi ?
- Écoute, Liam. Il y a quelque chose dont je ne t'ai pas parlé, commence-t-il prudemment. D'abord, parce que ce n'était pas mon rôle, et ensuite, parce que je ne pensais pas que ça pourrait te toucher d'aussi près.
Il se rassied, et cherche ses mots.
- Quand j'ai croisé Manon, ici, et bien... Ce n'était pas la première fois que je l'ai vu... Et... En fait, ce que j'essaie de te dire... J'ai beaucoup hésité, tu comprends. Ce n'est pas à moi de le faire. Mais... Je crois que tu es en mesure de comprendre... Et, c'est compliqué pour elle, aussi. Je ne voulais pas t'en parler, mais si tout ça devient sérieux... Tu dois savoir.
- Oui ?
- Manon est une de mes patientes. Elle fait partie des personnes qui défilent dans mon bureau parce que leur corps les a trahit, elle fait partie de ceux qui cherchent une solution, de la force pour tenir, quelque chose à quoi se raccrocher. Manon est atteinte de leucémie. Et, ni elle ni moi, ne savons quand elle va s'en sortir.
Je détourne le regard, mais c'est trop tard, il a compris que j'étais au courant.
- Tu savais ? Liam, tu le savais ? Réponds-moi !
- C'est plus compliqué que ça. Non, je ne savais pas. Je l'ai découvert. Par hasard. Et elle n'est pas au courant.
- Pourquoi tu ne m'as rien dit ?
- Et toi ? Pourquoi tu ne me l'as pas dit avant ? Tu crois que j'ai réagi comment en l'entendant entre deux portes ? Tu crois que ça m'a fait plaisir ?
- Liam... Secret professionnel, tu comprends ? Et, je pensais qu'elle t'en aurait parlé.
Je ne dis rien. Non, elle ne m'a toujours rien dit. J'ai l'impression qu'elle m'exclue d'un pan de sa vie. Et, mine de rien, cette pensée me blesse. J'ai peur de lui donner trop d'importance, de lui réserver une place trop grande dans ma vie et qu'elle parte sans crier gare. J'ai peur de comprendre que je ne compte pas autant pour elle qu'elle compte pour moi.
À ces pensées s'ajoute le fait que je n'arrive plus à passer deux heures sans penser à elle. J'ai tout le temps un œil sur mon portable, sait-on jamais qu'elle m'ait répondue. Je ne fais plus la tête pour me lever le matin, parce que je sais que je vais la croiser, et que son sourire va faire que la journée en vaut la peine. Je compte le nombre de fois où nos mains se frôlent, tout simplement parce que ces contacts rajoutent de l'espoir. Et, je...
- Oh ! Tu es avec moi ?
- Oui, je suis là.
- Alors, comprends mon inquiétude. Vous partez à deux, sur une journée, sans grande sécurité. En ce moment, Manon est fatiguée, il faut vraiment que tu fasses attention. S'il y a quoi que ce soit, tu m'appelles. Et surt-
- Je le ferai. L'hôpital n'est pas loin, papa. À peine une heure.
- Et pour toi ? finit-il par dire.
- Quoi, pour moi ?
- Tu vas savoir... Tu sais ?
Ne t'attache pas trop, le cœur ne se guérit pas si facilement, essaie-t-il de dire. Mais je ne l'entends pas. Mon corps ne répond plus à la raison, je suis devenu un cœur, mon cœur. Sans plus aucun filet de secours.
- Nous sommes juste amis.
Je ne sais pas ce que j'essaie de faire, en disant ça. Le rassurer ? Ou me rassurer, moi ?
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Pétrichor
RomanceQuand elle apprend qu'elle a une leucémie, Manon n'a pas d'autre choix que celui de s'accrocher à sa vie du mieux qu'elle peut. À tant vouloir reprendre une existence normale, elle érige des barrières entre elle et le monde à coups de non-dits. Liam...