Manon
- Léa a pu rentrer chez elle, affirme Clémentine, un sourire pixelisé aux lèvres.
- Non, sérieux ? C'est génial ! Tu l'as croisé ?
- Pas elle, ses parents. J'étais dehors avec Jasper quand je les ai vu sortir avec des sacs, alors on a un peu discuté.
Je serre mon téléphone où l'image de mon amie affiche quelques bugs. Ses yeux sombres pétillent de bonheur, mais je ne peux m'empêcher d'entrevoir une certaine ombre dans son sourire en imaginant que pour elle, la sortie est loin d'être imminente. Elle passe une main dans sa coupe à la garçonne et s'écrase sur son lit derrière elle.
- J'étais vraiment heureuse quand je l'ai appris. Je te jure, cette gamine m'a trop touché.
- Tu sais comment on pourra la contacter ?
- J'ai pris leur numéro de téléphone. Ils nous ont encore remerciés pour ces dernières semaines, d'ailleurs. Tu as leur bonjour.
Je souris en entendant ça. Léa est une jeune fille qui est arrivée il y a quelques mois, atteinte d'un cancer au niveau du cerveau à seulement huit ans. Elle n'a plus pu retourner à l'école pour quelques semaines, et les séjours à l'hôpital, en plus d'être fréquents se sont faits longs.
Très vite, Clémentine qui adore passer du temps entourée, l'a pris sous son aile. Elle a permis à Léa de se sentir moins seule, l'a inclut dans les groupes déjà formés, et lui rendait visite à chaque fois qu'elle le pouvait.
Même si je me suis de suite bien entendue avec Léa, je n'ai jamais eu le lien si fort qui les unit, Clémentine et elle. Plus qu'un soutien l'une pour l'autre, elles ont chacune trouvé une sœur dans l'autre, un petit bout de famille quand il devient impossible de voir la sienne tous les jours.
- Et toi, ça va ?
- Je crois que oui. Et puis, elle m'a promis de me donner de ses nouvelles régulièrement. J'ai dû réconforter Gaspard et Jade, ils n'ont plus leur grande copine, tu comprends. Ah, et Estelle m'a proposé de passer voir les plus petits en fin d'après-midi. Un atelier dessin, si j'ai bien compris. Et Jasper veut qu'on passe du temps ensemble demain.
Je l'écoute me faire le récit de son programme bien chargé et je souris en reconnaissant ma meilleure amie. Elle a besoin de rester active en permanence, de bouger sans cesse, de voir du monde. C'est sa thérapie à elle. Je sais qu'elle déteste sentir la fatigue la doubler. Elle veut tout contrôler, en espérant un jour retrouver sa forme d'antan.
- Tu crois que tu pourras me réserver un petit créneau ?
- Tu seras toujours ma priorité, Man', ne t'inquiète pas, ajoute-t-elle en riant.
Elle s'éloigne un peu de l'écran, puis revient à moi.
- Mince, j'entends Nathalie qui arrive, je vais devoir te laisser. Bisous Manon, et à tout à l'heure !
- Rappelle-moi, bisous !
Après quelques secondes, je décide de m'asseoir à une table dans la cour. J'enfonce mes écouteurs dans mes oreilles une fois installée et ouvre mon livre au marque-page que j'ai laissé. Je n'ai même pas le temps de commencer mon chapitre que je sens quelqu'un s'asseoir à côté de moi.
- Liam, dégage.
- J'hésite entre t'applaudir pour tes dons de voyance ou t'offrir une cure d'amabilité.
- Il n'y a qu'un gros lourd dans ton genre pour ne pas comprendre le message que des écouteurs et un livre renvoient.
- En parlant d'écouteur... T'es au courant qu'il m'en manque toujours un ?
- Hum, ouais. Possible.
- Et, donc ?
- Tu veux ma photo ?
- Presque, je veux que tu me rendes mon bien.
Il me tend sa main.
- En quel honneur ?
- En... ? Quoi ? Comment ça, en quel honneur ? Tu m'as volé un écouteur, Manon !
- Volé n'est pas le terme approprié.
- Et ce n'est pas non plus la façon d'agir appropriée.
Je laisse échapper un sourire.
- OK, qu'est-ce que je peux faire pour que tu veuilles bien me le rendre ? Je suis prêt à tout.
- Tout ? Tu es sûr ?
- Pour tout ce qui approche de près ou de loin à mon corps, merci de te renseigner sur le consentement avant.
- T'es con.
Je laisse mon regard divaguer. J'ai bien une idée de quelque chose, pourtant, je ne suis pas sûre de vouloir l'emmener une nouvelle fois dans cet endroit.
- Tu te souviens quand j'étais allée à l'hôpital, il y a deux semaines ?
- Ouais, et ?
- Tu crois que tu pourrais m'accompagner une nouvelle fois ?
Je relève les yeux, anxieuse. S'il n'a pas encore fait une remarque sur mon traitement, ça ne devrait pas louper.
- Tu vas retrouver ta grand-mère ? Mais sinon, ouais pas de problème, je te suis.
Je fronce les sourcils. Il n'a vraiment pas l'air au courant. De rien du tout.
- Les visites sont à quelle heure ?
J'avais faux. Il ne sait pas. Je ne sais pas par quelle magie son cerveau n'a pas encore fait le lien entre moi et la fille au cancer, mais je prends cette chance sans hésiter.
- Euh, j'y vais demain après-midi.
- Je te suivrai. Tu m'envoies un message ?
Puis, comme pour souligner ses propos, il m'emprunte mon portable le temps de rentrer son numéro à l'intérieur.
- Ce sera plus simple comme ça.
Je ne sais même pas pourquoi je l'emmène une nouvelle fois si près de l'endroit qui lui fera changer d'avis sur ma personne. Je crois que j'aime bien jouer avec le feu finalement. C'est peut-être aussi, parce que plus que jamais, j'ai besoin de quelqu'un pour me soutenir.
***
Le soir, quand je rentre chez moi, je peux seulement entendre le son de la télévision et les lumières qu'elle projette tout autour, pourtant maman n'est pas devant. Je sais qu'elle aime beaucoup l'allumer quand elle est seule à la maison, ça l'empêche de se concentrer sur le vide autour d'elle.
Je crois qu'elle angoisse à l'idée de l'année prochaine. Des études qui pourraient m'éloigner de la maison, de la leucémie qui pourrait prendre le dessus, de la solitude dans laquelle je pourrai la laisser. Elle a peur, pourtant, elle ne le montre pas.
Elle et moi, ça a toujours été une relation plutôt fusionnelle. Plus encore depuis le départ de Stéphane. Elle est comme ça, ma mère : elle n'a besoin de personne, et de tout le monde à la fois. On se soutient mutuellement, on s'entraide, on vit ensemble, on avance main dans la main. Mais je crois que parfois cette relation me fait peur à moi aussi.
Je ne veux pas la décevoir, et ce même lorsque les choses sont hors de ma portée. Parfois, j'ai peur de prendre trop de place dans sa vie, peur qu'elle n'arrive pas à me laisser partir. Et d'autres, j'ai l'impression qu'elle me laisse naviguer seule, se détachant du nous, pour prendre une nouvelle route, sans moi.
- C'est toi, Manon ? Oh, coucou, ma puce. Tu as passé une bonne journée ?
Je hausse la tête, l'incitant à me raconter la sienne. Elle commence son récit et je la suis dans la cuisine. Sur la table, je vois une pile de papiers. Je n'ai pas besoin de m'y pencher, les factures qui traînent ici et là n'annoncent jamais rien de bon. Je les pousse du coude et m'assois, la tête entre les mains pour calmer un mal de crâne qui vient de s'inviter.
Je suis fatiguée. C'est un fait. Bien trop important pour le mettre de côté, cette fois. J'en parlerai au docteur Barle demain. Pour ce soir encore, je veux juste me coucher dans mon lit pour ne jamais en ressortir.
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Pétrichor
RomansaQuand elle apprend qu'elle a une leucémie, Manon n'a pas d'autre choix que celui de s'accrocher à sa vie du mieux qu'elle peut. À tant vouloir reprendre une existence normale, elle érige des barrières entre elle et le monde à coups de non-dits. Liam...