Chapitre 15

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Manon

    Clémentine m'attend depuis une bonne dizaine de minutes quand j'arrive vers elle, deux livres à la main et ma veste dans les bras.

- Il fait une chaleur monstre, ici !

- Salut à toi aussi, Manon.

    Je claque une grosse bise sur sa joue avant de m'asseoir en face d'elle. J'enlève mon manteau et mon bonnet qui m'ont aidé à braver le froid de début janvier.

- Tiens, je t'ai pris mes deux derniers coups de cœur.

     Elle examine les bouquins que je viens de poser sur la table et les feuillette, l'un après l'autre, tandis que je sors mon porte-monnaie de mon sac. 

- Tu as commandé quelque chose ?

     Elle pointe du doigt la tasse de café qui se trouve devant elle tout en continuant sa lecture des résumés. Je me lève en direction de la caisse pour prendre un soda. Quand je reviens m'installer en face d'elle, un verre à la main, elle me sourit.

- Des romances, encore, hein ?

- Tu commences à me connaître, tu ne crois pas ?

- Je crois surtout qu'il serait temps que tu puisses t'autoriser à vivre une histoire dans le même genre.

    Je laisse échapper un rire en sirotant mon verre.

- Parce que tu penses que je me l'interdis ?

- Je pense que tu réfléchis trop.

    Je soupire. 

- Merci, en tout cas, ils ont l'air très chouettes. En plus, je ne vais pas manquer de temps pour les lire cette semaine.

- Qu'est-ce qu'ils ont prévu cette fois ?

- Traitement sur traitement. Barle m'a précisé qu'ils risquaient de me fatiguer, mais si le sommeil ne vient pas à moi, j'aurai tes livres.

- Tu as Jasper aussi.

     Elle retient un sourire qui se finit en grimace.

- Ils l'emmènent à Lyon pour son opération.

- Oh merde. Quand ça ?

- Après-demain. Il est censé y rester une semaine. Si tout va bien, mardi prochain, il revient.

     Son regard se perd derrière moi. Je la laisse à ses pensées. 

    Jasper est rentré dans sa vie sept mois auparavant. C'est le garçon le plus gentil que j'ai jamais rencontré, et même s'il est de deux ans notre aîné, il est le seul à part Clémentine avec qui je m'entends bien à l'hôpital. 

    Ses jambes sont paralysés depuis un accident de voiture. Il ne conduisait pas, mais il était avec un ami et tous deux avaient bus. Lorsque la vitesse a été telle qu'il n'était plus possible d'arrêter le véhicule avant de rentrer dans un camion garé sur le bord, le choc avait entraîné un contrecoup pour son corps, mais le plus dur était qu'en plus d'avoir perdu sa capacité de marcher pour une durée indéterminée, il avait aussi perdu son meilleur ami sur le coup. Quand les secours étaient arrivés, c'était déjà trop tard, et même s'il n'évoque jamais cette nuit, j'ai déjà remarqué la grande cicatrice qui lui barre le bras et qui souligne la violence des évènements.

    De plus, Jasper n'a jamais pu compter sur le soutien de ses parents avec qui il s'était disputé depuis bien trop longtemps pour que leur fierté respective ne les empêche de se parler à nouveau, et il s'était retrouvé sans plus d'aide morale que financière à l'âge de dix-neuf ans. 

     Pourtant, sans que je n'ai jamais compris comment, le coup de cœur mutuel qui les avait unis, lui et Clémentine, bien qu'aucun des deux n'ait souhaité mettre des mots sur leur relation étrange, m'avait permis de les rencontrer, lui et son optimisme sans faille. 

    Il m'arrivait de ne pas réussir à comprendre comment il réussissait à sourire en toutes occasions alors que d'ici deux jours, une nouvelle opération déciderait s'il pourrait espérer remarcher un jour. 

- Tu m'as l'air bien fatiguée, toi aussi. Ça ne s'arrange pas ?

- J'étais à une soirée, hier soir... Tu sais, pour le nouvel an.

     Elle se met à rire.

- Ça craint, tu ne crois pas ?

- De quoi ?

- D'avoir si peu de vie en dehors de l'hôpital que je n'arrive même plus à nous imaginer épuisés par autre chose qu'une nouvelle dose d'un traitement ou des douleurs qui t'empêcheraient de dormir !

- C'est vrai que ça craint.

    Elle continue de me détailler, à travers sa tasse de café. 

- Oui ?

- J'attends que tu me racontes, Manon.

- Ah. Ça.

    Je me dépêche de reprendre pour qu'elle arrête de me fusiller du regard.

- C'était plutôt sympa. Il y avait de la musique, des gens et de l'alcool.

     Elle reste interdite.  

- Manon, je sais à quoi ressemble une soirée, merci. Je parlais des détails intéressants, moi.

- Oh. Ces détails-là. Et bien... Il y avait Liam. Et on a un peu discuté. Un peu dansé, aussi. Et...

     J'arrête mon récit au souvenir de la veille. Je ne sais pas ce qui me passait dans la tête, c'était peut-être l'euphorie du lieu, l'ambiance légère, et sa proximité soudaine qui m'avait permise une telle attitude confiante à son égard.

- Et ?

- On s'est un peu rapprochés... Physiquement, j'entends. Mais il ne s'est rien passé. Du tout.

- Là, tu m'intéresses.

    Clémentine pose ses coudes sur la table, ses mains soutenant son menton. 

- Rien de plus, je te dis. On a été coupé par un retour à la réalité.

- Mais toi ? Tu aurais aimé aller plus loin ?

    Je hausse les épaules. Bien sûr que oui. J'attendais seulement un signe de sa part pour me confirmer le fait que je n'étais pas seule mais il n'est jamais arrivé. Le fait qu'il n'y ait pas fait une seule allusion m'a légèrement peiné. Bien que j'ai arrêté notre petit jeu la première, j'aurai apprécié savoir qu'au fond, je n'étais pas la seule qui en attendait plus. 

    Un léger goût amer laisse place à ce souvenir.

     Soudain, mon regard accroche la pendule au-dessus d'elle. 

- Merde, je devais être de retour avant dix-huit heures !

- Tente d'attraper le prochain bus !

    Je serre ma meilleure amie dans mes bras et lui envoie un signe de la main.

- Prends soin de toi et embrasse Jasper pour moi !

    Je la vois, derrière moi, un petit sourire sur les lèvres, commençant déjà à lire les romans que je lui ai fait passer. J'ai comme l'impression que je suis loin d'être la seule à avoir besoin de comédies romantiques dans ma vie.

PétrichorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant