Liam
Mon père est enfermé dans son bureau quand je sors. Je ne l'ai pas croisé une seule fois ce week-end, mais il n'a simplement pas dû le remarquer, trop occupé dans ses propres affaires pour venir me voir. La tension est un peu redescendue entre nous, après son coup de sang d'octobre, mais je ne peux pas m'empêcher de me crisper à chaque fois que je l'entends s'approcher.
Le plus dur dans son comportement est sûrement le fait de ne jamais savoir comment il va régir. Quoi que je fasse, j'ai l'impression d'être en tort et j'attends la réprimande anxieusement.
C'est marrant, quand j'étais gosse, je n'hésitais jamais à faire comprendre comment je me sentais, une grande gueule que rien ne pourrait faire taire. Ma mère avait toujours un sourire en coin quand je laissais échapper des remarques, elle lançait un regard meurtrier à mon père pour qu'il ne me reprenne pas, soulignant le fait que l'honnêteté était une de mes plus belles qualités.
Il la laissait faire. Maman était le poids qu'il manquait pour équilibrer la balance sur laquelle se tenait mon père. Elle était son opposée et pourtant, je n'ai jamais rencontré deux personnes qui se complétaient si bien.
J'avais longtemps cru que cette situation durerait toujours. C'est ce qu'elle me faisait croire, en tout cas. Maman était la douceur, l'oreille attentive dont j'avais besoin, elle était l'empathie et l'espoir. Papa, lui, était l'autorité, le désir de perfection, le contrôle et le pied à terre.
Quand elle est partie, j'ai perdu d'un seul coup, ma mère et le soutien d'une mère. Pendant toute mon enfance, j'ai passé la plupart de mon temps avec elle, à ses côtés, pendant que mon père était accaparé par son travail, ne libérant du temps pour nous que lorsqu'elle arrivait à l'en persuader. Rien n'a changé depuis, simplement le fait que maintenant, je suis seul à l'attendre.
Je ne sais pas ce qu'il a pensé de ma sortie de samedi soir puisqu'il n'a jamais répondu au message que je lui avais envoyé pour le prévenir alors que sa porte de bureau restait close.
J'enfile mon pull et sors de la maison, non sans avoir lancé un bref salut à qui voudra l'entendre. Il ne fait pas si froid, pourtant, je tremble quand j'arrive au lycée, tentant de paraître détendu pour retrouver Manon, les mains dans les poches.
Nous n'avons pas fait allusion à samedi soir, pourtant, je ne peux pas compter une heure où nous n'avons pas échangé des messages. Cette facilité à mettre de côté les sujets brûlants est une chose que nous avons en commun, mais je préfère ne pas le souligner.
- Salut, souffle-t-elle à mon arrivée.
Je m'avance vers elle et dépose mes lèvres sur une de ses joues, puis sur l'autre.
Elle fronce les sourcils, mais laisse échapper un léger sourire, à peine déstabilisée par mon comportement alors que je tente tant bien que mal de cacher le fait que je suis fébrile à son contact.
- Tu aurais vu Evan ?
- Rassure-moi, tu ne vas pas à nouveau tenter d'enterrer vivante sa copine ?
Je tousse à l'évocation de samedi soir. Le rappel d'Amandine vient tout de même de refroidir mes ardeurs.
- Ce n'est pas sa copine.
- Tu ne m'as corrigé que sur un point, ce n'est pas forcément rassurant.
Je ne cache pas mon mépris.
- Elle se comporte comme une garce avec lui. Excuse-moi de ne pas pouvoir la supporter.
- Précise l'adjectif « garce » ?
- Laisse tomber, tu ne pourrais pas comprendre.
Elle prend son sac par terre et l'enfile sur une épaule avant de se retourner vers moi.
- Il est au foyer.
Puis elle s'en va, aussi rapidement qu'elle est arrivée, le même sourire faux qu'elle arbore depuis que je suis arrivé, sur les lèvres. Je reste planté pendant quelques secondes. J'ai dit quelque chose qui lui a déplu ?
- Manon ! Eh ! Attends.
Je la rattrape à coups de petites foulées et capture son poignet pour qu'elle se retourne.
- Tu m'en veux ?
Elle laisse échapper un rire, se contentant de remuer la tête.
- Manon, je t'ai posé une question.
- Écoute toi parler de temps en temps. Et va rejoindre les gens qui te comprendront.
Quand elle insiste sur le dernier mot, je comprends ma gaffe.
- Attends, tu es vraiment en train de me faire la tête parce que je n'ai pas pris le temps de t'expliquer pourquoi je n'aime pas Amandine ?
- Et toi, tu crois que tu peux jouer avec moi toute une soirée puis me faire comprendre que je suis trop bête pour avoir une discussion ?
J'ai un mouvement de recul.
- Donc c'est vrai ? C'est ça qui t'a vexée ?
Son silence répond pour elle. Manon interdit ses yeux de croiser les miens et je déteste ça.
- Pour samedi soir, je crois que je n'étais pas le seul qui est rentré dans la danse, déjà, et...
- Donc ça va faire de moi une garce ?
Je suis à court de mots, totalement incrédule. On est vraiment en train d'avoir ce genre de discussion ?
- Manon, tu sais très bien que ce n'est pas ce que j'ai voulu dire.
- Comment je peux le savoir ? Je lis dans tes pensées, maintenant ? Avoue que tu es légèrement incohérent, un jour tu souffles le chaud, puis le lendemain, tu fais comme de rien n'était, en me parlant comme si j'étais ta petite sœur.
Je m'arrête de marcher à ses côtés. Surprise, elle s'arrête elle aussi, un peu plus loin.
- En fait, tu n'en as rien à faire d'Amandine. Ce que tu me reproches vraiment, c'est d'agir comme un ami ?
Je sens que j'ai touché une corde sensible quand elle repart, les poings fermement serrés. Je laisse échapper un rire nerveux, presque spontanément avant de me raviser. Raviver la colère d'une Manon énervée est loin d'être une bonne idée.
La sonnerie résonne entre nous, et je la regarde s'engouffrer au CDI, sans un regard en arrière. Si la situation n'était pas aussi tendue entre mon père et moi à propos des cours, je l'aurai suivie sans hésiter, mais je préfère attendre ce soir pour mettre au clair la situation.
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Pétrichor
RomanceQuand elle apprend qu'elle a une leucémie, Manon n'a pas d'autre choix que celui de s'accrocher à sa vie du mieux qu'elle peut. À tant vouloir reprendre une existence normale, elle érige des barrières entre elle et le monde à coups de non-dits. Liam...