Chapitre 38

1.7K 83 3
                                    

Liam

     Une main prête à la rattraper, je la sens m'échapper. Elle frôle mes doigts, mais ils se referment sur le vide qu'elle a laissé. Son corps s'écroule dans l'eau froide et salée et la dernière chose que je vois sont ses yeux qui se ferment alors que la peur les traverse soudainement. 

    Le bruit de l'eau qui la laisse couler sans pitié me réveille instantanément de ma stupeur. 

     J'arrache ma veste pour ne pas être handicapé par son poids et saute à mon tour. Je remercie la bonne idée que nous avons eu d'enlever nos chaussures pour nous balader sur le ponton. Au-dessus de moi, la lune claire me permet de visualiser Manon, dans l'eau qui continue de couler malgré la noirceur de la nuit. 

     Une fois sous l'eau, le sel me pique les yeux mais je continue de les ouvrir pour la retrouver. Je finis par attraper sa main inerte alors que mon oxygène commence à se limiter. 

     Pour éviter la panique, je me force à ne pas regarder son visage aux yeux fermés, où je sais qu'il me sera impossible de trouver un quelconque soutien. Dans une énième tentative de nous faire remonter à la surface tous les deux, je commence à perdre espoir. 

     Nos deux corps ensemble deviennent trop encombrants, surtout à cause de la jupe froissée qu'elle porte. Et si je remontais un corps sans vie ? Et si je n'y arrivais pas ? Et si on finissait nos vies comme ça ? Je crois que je pleure, sous l'eau. Que je hurle silencieusement.

     Puis le regard de papa se dessine sur mes paupières, celui qu'il m'avait adressé après qu'il venait de comprendre que j'étais au courant pour le cancer de Manon. C'était une lueur qui voulait dire « Fais attention. À elle. À toi. ».

    Quand il comprendrait que je n'avais pas réussi, il serait tellement déçu. Il était hors de question que la déception soit le dernier sentiment qu'il éprouve envers son fils. 

    Et Manon. Son sourire qui la rendait flamboyante. Son rire qui hantait mes nuits. Ses yeux captivants qui la rendait si belle. Sa curiosité infinie pour les choses qu'elle apprenait au fil des jours. Sa force qu'elle gardait si profondément en elle qu'elle osait ne pas croire en elle par moments. Ses mains si douces, si fines, qui savaient si bien s'occuper du monde autour. Et par-dessus tout, la lueur dans son regard quand je lui avais dit qu'elle me plaisait. 

    Juste pour ça, pour elle, je puise dans mes dernières forces, et quand je sens enfin un des piliers en bois du ponton sous ma main, je laisse échapper un cri sourd dans l'océan. 

    Mes poumons me brûlent. Mes yeux aussi. Mais je ne lâche pas la main de Manon. 

     Le reste est flou dans mon esprit. Je n'ai aucun putain de souvenirs de comment je nous ai remontés sur la ponton en bois. Je sais juste que quand j'ai rouvert les yeux, la lune brillait toujours du même éclat au-dessus de nous et que les étoiles qui nous avaient accompagnés dans nos déclarations respectives brillaient d'une autre lueur. Plus urgente. Plus claire. Une lueur menaçante et encourageante à la fois. 

     À côté de moi, je sens le corps de Manon se parcourir de spasmes. Je me relève avec difficulté et l'aide à se retourner sur le flanc. Sa respiration est coupé d'une toux violente et elle recrache de l'eau, encore et encore. 

- L... Lia... Liam...

     Je pose ma main qui ne se trouve pas sous sa tête sur son bras pour lui montrer ma présence. Je pleure, je le sais parce que je sens de l'eau couler sous mes yeux, encore et encore. 

- Crache tout, Manon, crache tout !

     Je ne veux pas qu'elle sente à quel point je suis paniqué. Cela ne lui sera d'aucune aide. Mais j'ai besoin d'aide, moi. Alors je crie à qui pourra m'entendre. Parce que mon portable était dans ma poche et qu'il est inutilisable. Parce qu'il est minuit passé et que la  plage est déserte. Parce que je ne peux pas la perdre mais que je ne peux pas la sauver non plus.

PétrichorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant