Manon
Je pose le livre que je viens de finir à côté de moi, sur la pile des trois autres romances que j'ai fini depuis hier pour éviter à mon corps de flancher dans le sommeil. L'histoire de Gabin et Camille continuent de tourner devant mes yeux. Je ne veux pas en sortir tant que je n'aurai pas trouvé de quoi faire évader mon esprit.
Maman est au téléphone mais je sais que si elle est à la maison aujourd'hui, ce n'est pas normal. Elle n'a pas eu le temps de discuter avec le docteur Barle hier soir et elle se rattrape, cherchant à comprendre ce qu'il va arriver dans les prochaines semaines.
Le petit halo de lumière qui passe sous ma porte me ramène à la réalité et je cherche un autre roman dans ma bibliothèque à l'aide de ma frontale. Mes yeux se posent sur mon exemplaire du Petit Prince que j'ai lu et relu. Il a le bord corné et les pages pliées par endroit, et je ne peux m'empêcher de penser à l'exemplaire neuf que j'ai aperçu la semaine dernière sur l'étagère de Liam.
Liam.
C'est marrant, avec ce qui s'est passé hier, il a quitté mes pensées pour quelques heures. J'avais promis à Clémentine que je reviendrai vers lui, mais avec ce que j'ai appris, je me conforte dans l'idée qu'il n'y aurait rien de bon à en tirer.
Souffrir seule a au moins l'avantage de ne blesser personne d'autre.
J'attrape le livre et m'assois de nouveau dans mon lit, laissant la frontale éclairer uniquement les pages du livre pour ne pas voir ma peau pâle et mes mains tremblantes.
***
- Comment tu te sens, ma puce ?
- Ça va. Ne t'en fais pas.
Maman porte le plat jusqu'à l'évier et revient, en cherchant mon regard.
- Alors, à quoi je vais être mangée cette fois ?
- C'est compliqué, pour l'instant. Le docteur conseillerait un traitement sur plusieurs mois, mais je ne veux pas t'infliger de nouveau cet épuisement. Peut-être qu'il existe une autre solution, plus longue mais moins difficile pour toi.
Elle pose sa main sur la mienne et la caresse du bout du pouce.
- Qu'est-ce que tu en penses, toi ?
- Est-ce que c'est vraiment la peine ?
Elle hausse les sourcils.
- De repartir dans un nouveau cycle. D'ici six mois, on me dira une nouvelle fois que ça n'aura pas marché. Et on recommencera. Encore, et encore. À chaque fois, j'aurai l'impression que c'est la dernière, mais ce sera surtout une nouvelle batterie d'examens sans queue ni tête, une nouvelle perte de temps, et de nouvelles factures qui s'empilent. Maman, dis-moi sincèrement, tu crois que ça en vaut le coup ?
Son visage se défait au fur et à mesure de mon discours. Soudain, elle se lève et vient me serrer fort dans ses bras frêles.
- Oh, Manon, bien sûr que ça en vaut la peine. Tu en vaux la peine. Je ne peux pas imaginer ne pas tenter...
Sa voix se casse. Nous marchons toutes les deux sur un fil et je sais qu'elle est encore la seule à chercher à en voir le bout.
Sur ma joue, une larme coule et je n'ai pas besoin de lever la tête pour savoir que maman est dans le même état. Je l'essuie rapidement et renifle un bon coup pour chasser les suivantes.
- Allez ! Lasagnes ce soir ! fais-je en dégainant mon plus beau sourire.
Elle hoche la tête en étirant les lèvres. Nous finissons de manger, cherchant à discuter de tout et rien pour chasser le nuage noir au-dessus de nos têtes. Quand elle doit s'en aller au travail, je l'embrasse fort sur la joue, et elle fait de même.
La porte se referme et je suis de nouveau seule. Dehors, le soleil transperce les nuages et mon regard se perd dedans. Il est deux heures moins le quart et je décide de prendre mon manteau pour me balader.
Je ferme la porte à clé et me concentre sur la musique dans mes écouteurs alors que j'attrape mon vélo.
Autour de moi, le bruit disparaît pour laisser place à Starsailor avec Way to fall. Je mets toutes mes forces dans les pédales, m'essoufflant rapidement. Pour la seconde fois depuis que j'ai vu le docteur Barle, je laisse couler mes larmes, la musique noyant mes sanglots.
Elles sont balayées de mes joues par la vitesse du vélo et mes cheveux blonds se laissent eux aussi entraîner dans le vent. Je n'ai encore rien dit à Clémentine qui m'a envoyé une dizaine de messages depuis hier, et mon silence me ramène une nouvelle fois à Liam, à qui je n'ai toujours pas répondu. Tout me ramène à lui et soudain la culpabilité me serre la gorge.
Je laisse tomber mon vélo alors que j'arrive dans un parc, en bordure de la route. Repliée sur moi-même, je laisse échapper ma douleur, laissant des traces de mascara sur mes joues alors que mon cœur se déchire petit à petit. Les sanglots me secouent le corps, empêchant ma respiration de reprendre un rythme normal. Tout se mélange autour de moi. J'ai envie de hurler, mais c'est impossible.
Je ne sais plus à quoi m'accrocher, je suis perdue, touchée, abattue. Comment trouver la motivation pour recommencer comme si de rien n'était ? J'accrochais tant d'espoirs que les voir s'écrouler d'un coup fait mal. Si mal.
Les oiseaux chantent, j'entends les voitures qui passent non loin de là, et je sens les rayons du soleil transpercer les branches des arbres pour caresser mes joues trempées. L'herbe qui bouge au fil des brides d'air vient frôler mes chevilles nues et je me raccroche à toutes ces sensations pour revenir à moi.
Elles me rappellent que je suis en vie à ce moment précis. Et je me rends compte que tenter d'anesthésier mon cœur n'est pas une bonne idée.
Je suis seule en ce vendredi après-midi, et quand je finis par me relever, reniflant doucement, j'attrape mon téléphone et compose un numéro que je connais par cœur à force de le voir s'afficher. Je n'ai pas le temps de réfléchir que mon interlocuteur décroche aussitôt.
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Pétrichor
RomanceQuand elle apprend qu'elle a une leucémie, Manon n'a pas d'autre choix que celui de s'accrocher à sa vie du mieux qu'elle peut. À tant vouloir reprendre une existence normale, elle érige des barrières entre elle et le monde à coups de non-dits. Liam...