Manon
Clémentine m'attend déjà au soleil quand j'arrive dans l'après-midi, pour honorer sa promesse de ne pas me faire poser un pied à l'intérieur du bâtiment de l'hôpital. Elle est toujours en avance sur moi. Je souris et m'avance vers elle.
- Tu as de la chance qu'il fasse beau, fait-elle en tapant sa main dans la mienne.
- Moi aussi, ça me fait plaisir de te voir.
Nous nous asseyons sur un banc qui surplombe tout le parc où des enfants jouent, avec des groupes d'amis assis de part et d'autres.
- Tu finissais si tôt les cours ?
- J'avais physique de quatorze à seize, mais le...
Elle se retourne, le regard énervé.
- Manon, tu déconnes j'espère ?
- Non, mais...
- Dégage. De suite. Profite de pouvoir suivre une scolarité un tant soit peu normale, merde.
- Eh, Clém, si tu me laissais parler, il y aurait moins de problèmes.
Ses pupilles sombres attendent que je finisse pour une fois.
- Mon prof était absent, encore.
- Mouais. Bon.
Je la sens se calmer petit à petit à côté de moi et je laisse échapper un sourire. Cette fille est la personne qui m'encourage le plus à vivre au monde. Quoi que je fasse, elle est toujours là pour me rappeler la chance que j'ai de pouvoir sortir autant que j'en ai envie.
-Raconte moi ton après-midi !
À son air léger, je comprends que sa mauvaise humeur s'est dissipée rapidement.
- De samedi ? Laisse tomber.
- Il y a tant de détails que je n'ai pas l'âge d'entendre ?
Je soupire.
- On a le même âge, abrutie.
- Plus d'excuse, alors, dis moi tout !
- Je me suis enfuie.
- Hein ?
Les boucles de sa perruque brune se soulèvent légèrement au gré du vent.
- Au début, c'était sympa. Même vraiment bien. Liam est... Bref. Mais après j'ai rencontré son père.
- Le tortionnaire ?
- Ouais, lui.
- Et alors ?
- Punaise, Clémentine. Son père, c'est Barle.
- Ouais, et ?
Elle continue de me fixer, avide de détails.
- Tu as besoin d'un dessin ?
- De son père ? Bah, non, alors. Je le croise assez régulièrement, ne t'en fais pas.
J'enlève mes lunettes de sur mon nez et les pose sur ma tête.
- Tu ne comprends pas ?
- Attends, elle est là, ta fin d'histoire ?
- Oui ! Je l'ai vu, je me suis enfuie, et depuis je l'évite.
- Le docteur Barle ?
- Non, Liam !
Le silence plane entre nous pendant quelques secondes.
- Mais tu es complètement ravagée, ma pauvre fille ! Tu es vraiment en train de griller tout ce que tu as vécu avec Liam parce que tu connais son père ?
- Dis comme ça, ce n'est...
- Il n'y aucune autre façon de le dire, Manon.
J'observe tous les gens qui se trouvent à proximité de nous, avec le désir de comprendre ce que je suis censée faire.
- Je n'ai pas envie qu'il sache. Jamais. Je veux juste rester Manon, à ses yeux.
- Tu crois vraiment que tu es sincère avec lui si tu lui caches qui Manon est ?
- Mais je ne suis pas ma maladie !
- Non, mais en plus d'être pétillante, d'aimer les livres et de chercher des réponses à tes questions en permanence, tu as aussi des moments de rechute, où tu as besoin d'un soutien mental et physique important, tu as vécu plusieurs mois de ta vie, enfermée entre ces murs blancs, affirme-t-elle en pointant l'hôpital, et même si je suis sûre que tu vas t'en sortir d'ici peu, tu as mené ces moments de ta vie, et que tu le veuilles ou non, ils ont impacté la personne que tu es.
- Je ne sais pas si je suis prête à voir son regard changer.
- Comment tu veux qu'il t'aime dans ton entièreté si tu commences à lui cacher un pan de ta vie ?
- Tu sais aussi bien que moi que c'est bien plus compliqué que ça.
- Pas vraiment, non. Il suffirait juste que tu lui fasses confiance et que tu t'autorises à lâcher prise.
***
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Pétrichor
RomanceQuand elle apprend qu'elle a une leucémie, Manon n'a pas d'autre choix que celui de s'accrocher à sa vie du mieux qu'elle peut. À tant vouloir reprendre une existence normale, elle érige des barrières entre elle et le monde à coups de non-dits. Liam...