Manon
S'il y a une chose encore moins cool qu'une leucémie, c'est la pitié dans le regard des autres. Je pensais en avoir fini avec les années passées quand les gens l'ont su. Lorsque j'étais retournée en cours, j'avais eu le droit à des tas de nouvelles copines dont je ne connaissais pas le prénom.
Parce que c'était exactement comme être le nouveau à l'école. Les gens imaginent qu'en étant chaleureux comme pas permis, je leur serai reconnaissante à vie. Première nouvelle : non, ça ne se passe pas ainsi. Deuxième nouvelle : pas la peine de me pouponner comme un bébé en sucre, merci.
J'ai eu beaucoup de mal à retrouver mon quotidien à la normale pendant quelques mois. Je n'ai jamais eu d'amis au lycée. Des potes, si l'on veut les appeler comme ça, oui. Des amis, non. Je n'en suis pas triste. Je m'entends parfaitement bien avec Clémentine à l'hôpital, c'est ma plus grande confidente. Et puisque c'est là que j'ai passé la majorité de mon temps jusqu'à aujourd'hui, ça m'allait très bien. Estelle aussi est là, depuis la première fois que j'y ai mis les pieds. C'est une infirmière qui s'occupe de mon département, et elle a toujours cherché à rendre mes séjours plus gais.
La jeune fille de quinze ans que j'étais a eu beaucoup de mal à accepter, les premiers temps, le fait de devoir se familiariser avec les lieux, et particulièrement les gens qui se trouvaient là-bas. Pourtant, Estelle n'a pas abandonné, une seule fois. Elle passait tous les soirs, dans ma chambre, un jeu de cartes dans les mains, et allait parfois jusqu'à faire des solitaires devant moi, juste pour que j'ai un peu de compagnie.
Elle et Nathalie, une autre infirmière du service où j'étais, ont joué les entremetteuses, et c'est là que j'ai rencontré Clémentine, et son amour des blagues de mauvais goût. On a vite tissé un lien, et j'ai fini par accepter que je devais me faire à ce que j'allais appeler « ma deuxième maison ». Depuis peu, Jasper nous a rejoint, et je crois que lui aussi rentre dans la catégorie des gens que j'appelle mes amis.
De plus, j'ai toujours été très solitaire. Les gens sont faux, ils ne laissent apparaître que ce qu'ils aiment qu'on voit. Il suffit souvent de creuser un petit peu pour comprendre à quel point ils n'en valent pas la peine. Quand j'étais enfant, Stéphane me souriait toujours quand je lui faisais cette remarque. Il disait que le plus important, c'était de s'aimer soi. Si je me suffisais à moi-même, c'était parfait.
Maman était toujours énervée quand il répétait son discours. Elle disait qu'il ferait de moi une solitaire, et que, même s'il fallait s'aimer, laisser de la place aux autres était tout aussi important. J'ai laissé une trop grande place à mon beau-père, parce qu'il est parti. Elle avait raison, il avait fait de moi une solitaire. Mais au final, il avait eu raison, lui aussi, mieux valait se suffire à soi-même au risque d'être sans cesse déçu.
Quand en début d'année de Seconde, on m'a appris la présence d'un nombre excessif de cellules cancéreuses dans mon corps, je me suis trouvée pleins d'amis. Je trouvais presque cela merveilleux. Jusqu'à ce que je comprenne que dans leurs yeux, il n'y avait que de la pitié dure et froide. Et non l'affection chaleureuse que je recherchais depuis si longtemps.
Après une année décousue, la Première est arrivée et je n'ai pas cherché à rencontrer des gens, j'avais été trop déçue. Je n'avais pas envie d'être l'amie au cancer, juste l'amie tout court. La pitié ne pourrait jamais construire une vraie relation, parce qu'une fois qu'elle se serait envolée, il ne resterait plus rien que le vide de l'inconnu encore jamais parcouru.
Alors, quand j'ai croisé le regard de Liam et de son acolyte, la déception a grandi en moi comme jamais auparavant. Je ne sais pas à quoi je m'attendais en le provoquant une fois de plus. Juste la chaleur que nos taquineries m'avaient laissé toute la soirée, certainement.
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Pétrichor
RomanceQuand elle apprend qu'elle a une leucémie, Manon n'a pas d'autre choix que celui de s'accrocher à sa vie du mieux qu'elle peut. À tant vouloir reprendre une existence normale, elle érige des barrières entre elle et le monde à coups de non-dits. Liam...