Nos Yeux-Lucioles

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Everything A Reason - Richard Luke







C'est marrant.



Se lever, reprendre son souffle et s'efforcer de garder la tête haute. C'est marrant de se préparer à un long discours, se jeter droit dans le vide tout en ayant conscience,

                           que personne

                                      n'entendra.



Mais on n'y peut rien.

On frissonne, on tressaille. C'est comme ça, ce truc là nous transcende. L'art de la parole, la force absurde et effrayante des mots.
La poésie, pour ceux qui y croient.



Je ne sais même pas vraiment de quoi je compte vous parler, mais tout savoir serait trop simple. Trop faux, aussi.

Les émotions, ça bouge, ça fluctue. Ça vrille, parfois. Alors j'ignore ce qui, du vide, de la colère, ou de toutes ces autres nuances de l'existence, prendra possession de moi ce soir.



J'ignore encore le mouvement de mes doigts et la férocité du barrage de mes larmes, mais je peux vous parler du monde. Je peux vous parler des années et de l'amertume que je vois faire trembler vos sourires.

Je peux vous raconter la réalité qui se brise, et la façon dont on cesse d'y croire parfois.



La façon dont on échoue, puis celle dont on triomphe aussi. Lorsqu'on parvient à vivre, dans le sens si spécial de ce mot.

Alors, on devient les fous de ce monde. Les ivrognes. Les poètes.



On vit en regardant à travers une fenêtre, le ciel, lorsque la nuit le déshabille. On vit, l'histoire d'un trajet de bus, pour la route qui tangue et le désespoir fascinant sur les visages.

Détraqué avant l'heure,

On vit.

Violemment,

Amèrement,

Furieusement.



Ni pour être quelqu'un, ni par crainte de mourir.
On fait ça parce qu'on n'a pas le choix.



C'est absurde, pas vrai ? D'admettre finalement que c'était ça, notre destinée. Ce qui signifie qu'on est bien là pour quelque chose.

La vie, dans toute sa simplicité comme beaucoup le disent. Moi, je dirais plutôt dans toute son étrangeté. Son paradoxe palpable. Sa violence. La vie dans le vertige des émotions, les fulgurances du jour et l'onirisme.



Pourtant, et je le sais mieux que personne, être quelqu'un va bien au-delà du besoin. C'est une nécessité cruelle, à laquelle personne n'échappe.

Mais j'ai fini par prendre conscience qu'il n'y avait rien de tangible, ou de réellement perceptible à ce que j'étais.



Et encore aujourd'hui, je ne suis pas cette personne droite et fiable. Je ne suis pas cette femme qui se projette, celle que l'on imagine encore dans 30 ans,

Fière, et paisible.



Je ne suis ni une fille, ni une sœur

Je ne suis ni une amie, ni une amoureuse, ni même une connaissance

Je ne suis pas une personne importante

Quelque chose qui se démarque

Un cœur et des entrailles



Je suis une poète.

De ceux que l'on imagine parler pour ne rien dire. Et c'est peut-être ce que je suis en train de faire.

Il faut l'admettre, la tendance crue et tranchante des mots n'a rien à faire avec la vérité, et des mensonges sembleraient tout aussi brûlants de sens.

L'importance est ailleurs.



L'importance, elle est dans la voix qui casse et déraille à chaque manque d'air. Dans le sillage de chaque mot, dont le sens frappe

Un peu trop bruyamment.

L'importance, elle était là où je l'ai vu mourir, en entrant dans cet amphi et dans le brouillard d'incompréhension qui y régnait.
Lors de toutes ces soirées, abrutissantes à en crever. Boire, sympathiser, oublier la merde qu'on a foutue, et qu'on foutra une fois de plus ce soir.



Alors quand on se réveille, qu'on n'a plus la force mais seulement les mots qui tournent en boucle, on cherche. Bêtement, on cherche.

Une raison de se lever, de s'en tirer encore une fois.



J'imagine qu'on en trouve tous une différente, de raison. Pour ceux qui y parviennent.

Une raison, audacieuse

Simple et essentielle

Étrange

Risible

Incomprise

Inutile.




C'est précisément là qu'on voudrait se tirer, et que l'irréel dévoile toute sa dimension.

C'est précisément là qu'on tire un trait sur le sens naturel des choses. Qu'on voit sa présence faillir, et l'écho de ses pas se démarquer à travers la foule.



Trouver sa place lorsque rien n'en a plus

Assez fou pour y croire,

Et exalté pour vivre.



Assez léger encore pour pleurer sa solitude le soir venu. Son écart avec le monde, et la béance du ciel.

Assez libre encore pour maudire ce qui nous fait exister,

Et relever les yeux

Vers l'absence de visages,

Le silence fusillant de la scène



Et l'immensité des Lucioles.







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Le titre de ce texte est tiré d'un poème de PerledeFeu nommé "Tes yeux-lucioles".


Le Ciel ne s'est Jamais ÉteintOù les histoires vivent. Découvrez maintenant