Le sang des Numuris - I L'Arme

1 - Le dernier cours

Nameöra, planète Kanwho, système Kanwho, quelques millénaires plus tard.

La porte automatique s'ouvrit devant Anto.

« C'est quoi tout ça ? demanda-t-il, interrogé par les lignes de codes défilant sur le mur-écran du bureau. Qu'est-ce que t'es encore en train de bidouiller ?

– Tu parles de ça ? répondit Kaïton en retirant son casque de réalité virtuel synchronisé au mur-écran. En fait, j'avais terminé mon programme de travail de l'après-midi donc je me suis dit que je pouvais essayer de renforcer la sécurité sur l'hyper-réseau de l'office des frontières.

– Arrête de te prendre pour un génie de l'ère terrestre, répondit son maître de stage. Tu sais, aujourd'hui, ce sont les IA qui gèrent la sécurité de l'administration des départs et arrivées.

– Justement j'entraînais l'IA chargée de la sécurité de notre division à une cyberattaque similaire à celles menées en ce moment par la République Oÿnosienne, rétorqua Kaïton. »

Anto restait, impressionné, sur le pas de la porte et dit :

« Il est bientôt 18h, tu vas pouvoir y aller. » Il referma la porte laissant son stagiaire à son occupation.

Kaïton remis son casque de réalité virtuelle et décida d'aller jeter un coup d'œil à la liste des départs précipités à laquelle il n'avait normalement pas accès. Il regardait d'un air distrait les noms du registre et vérifiait pour s'amuser que toutes les autorisations étaient bien accordées, qu'aucun nom n'était sur la liste rouge des interdictions de sorties de territoire. Soudain, il aperçut un nom, s'arrêta, Neutriss Himura. Il ferma les fichiers, retira son casque et fixa le mur du fond d'un regard vide. Quelques instants plus tard il sortait du bureau son sac sur le dos.

Il appela un taxi-drone. En moins de deux minutes l'engin était arrivé et se posait sur la plateforme d'aluminium du bâtiment réservé aux taxis automatiques. Kaïton se précipita à l'intérieur et demanda le gymnase de l'université Kohula. Le drone s'élança et entreprit une course folle parmi les multiples véhicules qui peuplaient les avenues et le ciel de Nameöra. Dans la cabine de l'appareil Kaïton maugréait :

« Je vais encore être en retard, au moins maintenant ils commencent à avoir l'habitude, ironisa-t-il. Mais elle, c'est sans doute la dernière fois que je pourrai la voir, soupira-t-il. »

Le drone atterrit sur un espace libre devant l'imposant gymnase. Il était 18h03, le cours commençait à 18h05 et Kaïton devait encore aller se changer. Il entra dans le gymnase au pas de course, prit la direction des vestiaires automatiques. Il choisit un module disponible et demanda une combinaison anti-transpiration. Il entra dans le module, leva les bras et la machine pulvérisa le liquide inoffensif chargé de détruire la combinaison textile de Kaïton. La machine pulvérisa ensuite le produit pour fabriquer la nouvelle combinaison de sport de Kaïton. Il sortit de la cabine, sortit son kimono de son sac et l'enfila. C'était une vieille tradition apparemment héritée de l'ère terrestre qui voulait que la pratique d'un art martial se fasse en kimono.

Il se dirigea vers le dojo pour le cours d'aïkijutsu. Il arriva juste à temps pour le salut et se rangea parmi les deuxièmes kyu. Tandis qu'il s'agenouillait face aux professeurs il sentait son cœur accélérer. Le professeur le plus gradé, Namiro Kéita, lança le salut. Neutriss se trouvait juste à côté de lui comme à chaque fois depuis plusieurs années. Kaïton profitait de cette proximité car il savait que le lendemain, elle partirait. Agenouillé, il s'inclina pour saluer les professeurs. Il n'avait jamais osé lui avouer ses sentiments. Il se releva. Et le lendemain elle serait partie.

Le cours commença par des échauffements, les élèves enchaînèrent les exercices. Kaïton lançait de temps à autres de petits coups d'œil vers Neutriss. Elle était belle, élancée, les cheveux bruns. Ils devaient maintenant répéter les nombreux mouvements d'attaque et de défense, mécaniquement. Ses yeux verts pétillants et vifs, ses traits fins envoûtaient Kaïton. Ils devaient à présent se mettre par deux et chacun leur tour attaquer leur partenaire et parer ses attaques. Le cours continuait, les exercices se succédaient. Akira Tanenseï, le professeur adjoint donnait des conseils aux deuxième kyu. L'examen final approchait et les élèves ne maîtrisaient pas la totalité des exercices. Kaïton devait réaliser des katas, des enchaînements de mouvements définis censés être utilisés dans une situation particulière. Neutriss exécutait les exercices avec fluidité et puissance quand Kaïton insufflait dans ses mouvements précis une profonde détermination. La seconde partie du cours consistait en une sorte de médiation dirigée dans le but d'harmoniser ses énergies. Les élèves devaient détendre totalement leurs muscles, percevoir les énergies pour mieux les maîtriser. Canaliser les forces opposées pour parvenir dans le même temps à se défendre et à attaquer. Le cours avançait et Kaïton n'avait toujours pas osé prendre la parole en face de celle qu'il aimait. Les élèves étaient à présent disposés en cercles et Kaïton était situé juste en face de Neutriss. Ils devaient fermer leurs yeux et ressentir les tensions musculaires dans leur corps. On sentait le dojo vibrer de la puissance de concentration des aïkijutsukas. Dans quelques minutes la séance prendrait fin et Kaïton ne reverrait plus jamais Neutriss. Les élèves procédaient à un dernier exercice d'attaques et de défenses avant le salut. Namiro Kéita annonça la fin du cours.