33 - En route pour le Sud

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Il était parti vers le Sud. Kaïton repensait à son dernier échange avec Baltor Dünga, l'homme qui l'avait aidé à trouver un logement et du travail. Kaïton était revenu, comme la première fois, devant la modeste demeure de l'ami de sa grande tante. Il avait toqué, en s'attendant à ce que le même homme bourru vienne lui ouvrir la porte de bois massif. C'était encore une fois cet homme dont il ne connaissait toujours pas le nom qui l'avait invité à entrer. Puis Baltor avait engagé la conversation :

– Alors mon garçon, comment se passe la vie Trundaroise ?

– Trundariv est vraiment une ville très accueillante, vivante, j'ai été très surpris !

– Je n'en attendais pas moins. Mais dis-moi, qu'y a-t-il pour que tu viennes jusqu'à Kergunt ?

– Vous avez entendu parler de la guerre ? Vous savez, avec la République Oÿnosienne.

– Ah oui, il suffit de tendre l'oreille pour n'entendre parler que de ça depuis qu'Iendëlj est tombée.

– Les conséquences de la guerre se font déjà sentir, avertit Kaïton. Le spatioport à drastiquement diminué son trafic et mon travail n'est plus nécessaire.

– Je m'en doutait.

– J'ai décidé de partir vers le Sud. Je profite de ces événements pour visiter plus en profondeur Neoba.

Kaïton ne pouvait pas lui dire toute la vérité. Qui sait qui se cachait sous le masque souriant et bienveillant de Baltor Dünga ?

– C'est une riche idée mon garçon. Tu vas jusqu'à Ennoyab ?

– Oui, on m'a dit d'y aller si je voulais rejoindre la mer ensuite.

– On t'a bien renseigné. Si jamais tu veux aller voir Cazerdnal, demande le guide Nilrem sur les quais de Focsor.

– Merci de vos conseils. Vous avez l'air de connaître tout le monde ici ! Mais je ne sais pas encore où j'irai, je voulais juste voir la mer dans un premier temps.

Il essayait de jouer le touriste innocent. Il voulait bien se rendre à Cazerdnal, mais il ne l'avait dit à personne encore, à part Lerhim, mais il ne voyait pas pourquoi son ami irait renseigner l'étrange Baltor. Cazerdnal était le village le plus proche de la forêt dont avait parlé la conteuse. Apparemment on ne pouvait y accéder que par la mer.

– Je pense savoir ce que tu cherches là-bas Kaïton, tu n'es pas le neveu de Li pour rien. Je te souhaite un bon voyage. Qui sait quand nous nous reverrons ?

– Merci à vous pour toute l'aide que vous m'avez apporté, je ne sais pas comment je m'en serais sorti sinon. Bon courage par les temps qui s'annonce !

– Ce fût un plaisir Kaïton.

C'était sur ces mots que Kaïton avait quitté Baltor Dünga. Il brinquebalait maintenant dans une large voiture à propulsion électrique, en route vers Ennoyab. Il comptait ensuite emprunter une péniche pour descendre l'Evin jusqu'à Focsor, l'embouchure. Il lui restait assez d'argent pour le bateau et quelques jours en auberge mais il se doutait que ses quelques semaines de travail seraient bien vite épuisées.

Ils étaient une dizaine dans la voiture. À côté de lui il y avait une famille de trois enfants. De ce qu'il avait entendu, ils rendaient visite à des cousins dans la ville fluviale. En face se tenaient d'autres personnes, plutôt silencieuses. Il avait entamé la discussion un peu plus tôt. Une femme, originaire de la côte, qui était venu travailler dans le tourisme a Trundariv retournait tenter sa chance à Ennoyab, sans doute à cause de la guerre. Un homme taciturne au premier abord, rentrait chez lui, plus haut sur le fleuve après avoir achevé sa formation dans une des prestigieuse école de la capitale. Il était devenu colporteur agronome. Il errerait de ferme en ferme, de ville en ville, pour transmettre les bons conseils de certains, les découvertes d'autres. Un métier parfois solitaire mais essentiel à l'évolution et au perfectionnement des pratiques agricoles neobiennes.

La voiture cahotait tranquillement sur la voie pavée, au rythme régulier des son moteur électrique. Kaïton avait emporté avec lui le minimum. De toute façon il n'avait pas grand-chose à lui. Il tenait toujours dans sa poche la montre que lui avait transmis sa grande tante Li. Il avait passé du temps à l'observer, à essayer de la comprendre, à en explorer les moindres recoins. Il n'avait trouvé aucun bouton ni autre mécanisme. Il ne connaissait toujours pas son utilité mais il était persuadé que l'étrange objet serait bientôt important.

Les petits villages se succédaient derrière les fenêtres de la voiture. Des voyageurs montaient, d'autres descendaient. Le rythme monotone de l'avancée du véhicule finissait par endormir Kaïton.

Il se tenait devant la petite masure de sa grande tante. Le ciel était clair et l'air d'une tiédeur humide. Le jeune homme était assis sur une pierre moussue de la clairière. Devant lui se tenait sa grande-tante. Il ne s'en étonnait pas. Elle était là comme elle l'avait toujours été, inspectant son potager, amendant la terre d'un peu de fumier. Elle ne semblait pas l'avoir remarqué, ou peut-être faisait-elle semblant de ne pas le voir.

Il se promenait dans la forêt sombre. Au loin résonnait l'appel du Kam'Numuris. Il pensait à la maîtrise, à ses pouvoirs qu'il ne maîtrisait pas encore. Les mots lui revinrent, comme prononcés par la voix de Li Ernesis elle-même.

« Comme dans mes veines, le sang des Numuris coule en toi.

Un grand destin t'attend Kaïton. Je suis heureuse de t'avoir revu.

Fais confiance à l'inconnu, il t'apprendra plus que tu ne le penses.

Tu es maintenant le gardien du compas astral.

Ne te livre pas au premier venu, tu es porteur d'un grand secret. Garde toujours le compas astral avec toi et tu comprendras son fonctionnement. Tant que tu le garderas sur toi je serais là pour t'accompagner. »

Et comme si la lettre ne s'était pas achevée sur ces mots, la voix de la mystérieuse grande-tante continua :

« Je suis toujours là Kaïton, il te suffit de m'écouter pour que tu m'entendes. »

Alors qu'il se réveillait en sursaut, il entendit le doux cahot de la voiture sur la route. Il s'était assoupi. Il avait rêvé, un instant peut-être. Une phrase demeurait à la limite de sa conscience. Il avait l'impression de sentir la présence rassurante de Li auprès de lui. Et pourtant, rien n'avait changé autour de lui. Le même paysage morne défilait par les étroites fenêtres de la voiture. Fallait-il seulement qu'il écoute ? Comment pouvait-il écouter quelque chose avant de l'entendre ?

Il décida de reprendre son repos et s'abandonna à nouveau dans les brumes du sommeil.


Le sang des Numuris - I L'ArmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant